You are here: Home / Contents / Volume 9 / Article 9.1) Le cercle d’épistémologie: Sur l’archéologie des sciences. A Michel Foucault

This project is funded by an Arts and Humanities Research Council (AHRC) research grant and is supported by the Centre for Research in Modern European Philosophy (CRMEP) and Kingston University's Faculty of Arts and Social Sciences.

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Sur l’archéologie des sciences. A Michel Foucault

Contents

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On n’aura eu d’autre dessein dans les questions qui sont ici posées à l’auteur de Histoire de la folie, de Naissance de la clinique et de les Mots et les Choses que de lui demander d’énoncer sur sa théorie et sur les implications de sa méthode des propositions critiques qui en fondent la possibilité. L’intérêt du Cercle est allé à le prier de définir ses réponses par rapport au statut de la science, de son histoire et de son concept.

De l’épistémè et de la rupture épistémologique

La notion de rupture épistémologique sert, depuis l’oeuvre de Bachelard, à nommer la discontinuité que la philosophie et l’histoire des sciences croient marquer entre la naissance de toute science et le “tissu d’erreurs positives, tenaces, solidaires” rétrospectivement reconnu comme la précédant. Les exemples topiques de Galilée, Newton, de Lavoisier, mais aussi d’Einstein et de Mendéléeff illustrent la perpétuation horizontale de cette rupture.

L’auteur de les Mots et les Choses marque une discontinuité verticale entre la configuration épistémique d’une époque et la suivante.

On lui demande quels rapports entretiennent entre elles cette horizontalité et cette verticalité.1

La périodisation archéologique délimite dans le continu des ensembles synchroniques, rassemblant les savoirs dans la figure de systèmes unitaires. [6] Elle efface du même coup la différence qui, aux yeux de Bachelard, disjoint à tout moment les discours scientifiques des autres, et, assignant à chacun leurs temporalités spécifiques, fait de leur simultanéité et de leur solidarité un effet de surface.

On demande si l’archéologue veut cet effacement? Ou s’il entend là distinguer deux registres, hiérarchisés ou non?

S’il est vrai qu’on obtient une configuration épistémique par articulation de traits pertinents choisis dans un ensemble d’énoncés, on demande:

- ce qui gouverne la sélection, et justifie par exemple, la phrase suivante: “Seuls ceux qui ne savent pas lire s’étonneront que je l’ai appris plus clairement chez Cuvier, chez Bopp, chez Ricardo que chez Kant ou Hegel” (Les Mots et les Choses, p. 318)?

- ce qui valide la configuration obtenue?

- s’il y a un sens à demander ce qui définit une épistémè en général?

On demande de plus: l’archéologie a-t-elle à connaître d’un concept de la science? D’un concept de la science qui n’est pas épuisé par la diversité de ses figures historiques?

De la lecture

Quel usage de la lettre l’archéologie suppose-t-elle? C’est-à-dire: quelles opérations pratiquer sur un énoncé pour déchiffrer, au travers de ce qu’il dit, ses conditions de possibilité, et s’assurer qu’on atteint le non-pensé qui, hors de lui, en lui, le suscite et le systématise?

Reconduire un discours à son impensé rend-il vain d’en donner les structures internes, et d’en recomposer le fonctionnement autonome? Quel rapport faire entre ces deux systématisations concurrentes? Y-a-t-il une “archéologie des doctrines philosophiques” à opposer à la technologie des systèmes philosophiques, telle que la pratique Martial Gueroult?

L’exemple de Descartes pourrait ici avoir valeur discriminante (Histoire de la folie, p. 54-57).

De la doxologie

Comment définir la relation articulant la configuration épistémique aux conflits d’opinion qui se déroulent à sa surface?

Le niveau des opinions n’a-t-il que des propriétés négatives: désordre, séparation, dépendance?

Le système d’opinions qui définit un auteur ne peut-il obéir à une loi propre, de telle sorte qu’on pourrait établir des règles gouvernant dans une [7] épistémè la variété des systèmes doxologiques, la présence de telle opinion impliquant ou excluant telle autre à l’intérieur d’un même système?

Pourquoi faut-il que la relation entre les systèmes d’opinions prenne toujours la forme de conflit?

Des formes de transition

Dans les formes de transition qui assurent le passage d’une grande configuration à une autre, le chapitre VI, partie III, de les Mots et les Choses explique que si, dans le cas de l’histoire naturelle et de la grammaire générale, “la mutation s’est faite brusquement, ... en revanche le mode d’être de la monnaie et de la richesse, parce qu’il était lié à toute une praxis, à tout un ensemble institutionnel, avait un indice de viscosité historique beaucoup plus élevé” (p. 192; de même, p. 218).

On demande de quelle théorie la possibilité en général d’une telle viscosité peut être l’objet.

De quelle façon et suivant quels rapports (causalité, correspondance, etc.) une forme de transition peut-elle être déterminée par une telle viscosité?

Les discontinuités qui s’établissent entre des configurations qui se succèdent sont-elles toutes en droit du même type?

Quel est le moteur qui transforme une configuration dans une autre? Le principe de l’archéologie veut-il la réduction de cette question?

De l’historicité et de la finitude

On demande à l’auteur de Histoire de la folie, de Naissance de la clinique et de les Mots et les Choses comment il définirait le point d’où il peut soulever la terre épistémique. Lorsqu’il prononce que pour parler de la folie un “langage sans appui était nécessaire” (p. X), que dans la clinique quelque chose commence à changer aujourd’hui, ou simplement que la “fin de l’homme est prochaine”, quel statut confèrerait-il à ce prononcement même?

Aujourd’hui peut-il mettre à jour sa propre configuration?

Si on appelait historicité pour un auteur l’appartenance à l’épistémè de son époque, et “finitude” le nom qu’une époque - notamment la nôtre - donnerait à ses propres limites, quels rapports ou non-rapports entretiendraient selon lui cette historicité et cette finitude?

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Accepterait-il qu’une alternative lui fût proposée entre un historicisme radical (l’archéologie pourrait prédire sa propre réinscription dans un nouveau discours) et une sorte de savoir absolu (dont quelques auteurs auraient pu avoir le pressentiment indépendamment des contraintes épistémiques)?

Le Cercle d’épistémologie.

Notes

1. On essaie de reprendre dans cette question le passage suivant de l’article de G. Canguilhem consacré au livre de M. Foucault (Critique, no. 242, p. 612-3): “S’agissant d’un savoir théorique, est-il possible de le penser dans la spécificité de son concept sans référence à quelque norme? Parmi les discours théoriques tenus conformément au système épistémique du XVIIe et du XVIIIe siècles, certains, comme l’histoire naturelle, ont été relégués par l’épistémè du XIXe, mais certains autres ont été intégrés. Bien qu’elle ait servi de modèle aux physiologistes de l’économie animale durant le XVIIIe siècle, la physique de Newton n’a pas coulé avec elles. Buffon est réfuté par Darwin, s’il ne l’est pas par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. Mais Newton n’est pas plus réfuté par Einstein que par Maxwell. Darwin n’est pas réfuté par Mendel et Morgan. La succession Galilée, Newton, Einstein ne présente pas des ruptures semblables à celles qu’on relève dans la succession Tournefort, Linné, Engler en systématique botanique.”