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This project is funded by an Arts and Humanities Research Council (AHRC) research grant and is supported by the Centre for Research in Modern European Philosophy (CRMEP) and Kingston University's Faculty of Arts and Social Sciences.

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Avertissement. Politique de la lecture

[III]

1. Un philosophe pose ses problèmes. Mais on laisserait régner l’arbitraire d’une lecture sans retour ni mémoire à taire qu’il les inscrit en même temps sur le texte d’un autre philosophe. Celui-ci s’enrichit alors de son épigone, et du crédit qu’il lui fait d’avoir su plus de noeuds que lui-même n’en trancha.

Entre deux philosophies, le rapport n’est donc pas de référence, (l’une serait la chose dont l’autre dirait le mot; à même question, l’une dirait oui et l’autre non), mais de différence(entre un concept, et son absence chez l’autre; entre un mot, et le même chez l’autre). Il s’en faut en effet d’une différence, depuis Saussure, entre les signifiants; il pourrait bien s’en falloir d’une encore entre les problèmes dans l’histoire de la philosophie: les apories seraient levées, depuis les littéralités feintes de l’érudition, (comme métrique des doctrines et arpentage de leurs intervalles) aux détournements et dépassements prétendus selon l’esprit (comme psychologie, donc psychologisation des théories).

2. Dans le cas plus simple où l’un philosophe fait lecture de l’autre, la différence passe entre eux, mais légèrement; elle fait une pression plus forte si elle passe toute dans le premier, ou toute dans la seule lecture du second. A qui lit cette lecture de repérer la différence dans ses plus grands effets, et d’opérer en chacun les partages les plus efficaces.

Précisément Martial Guéroult dénoue les fils d’un mixte, le concept d’état de nature selon Rousseau: comment le Fichte d’avant 1794 lit le deuxième Rousseau, puis le second Fichte, l’équivoque de deux Rousseau; que Fichte ait vu un double Rousseau engageait à voir Fichte semblablement double.

Ces réduplications terminées, il s’avère que les dichotomies, exhaustives, disjonctives, chassent, comme chez Platon, la différence jusqu’à son plus mince rebord - un concept, voire un mot - et que la ponctuation, ailleurs introduite 1 admet la récurrence de son [IV] transfert jusqu’à l’excédent dernier. A mi-chemin de la tortue, coupe encore par le plus court.

A ce calcul de ce que souffre ou soutient l’aire d’un système ou d’un argument procèdent les autres lectures présentées: lectures de lectures parfois, de Rousseau par Fichte, de Machiavel par Descartes, lectures différentielles de Fichte opposé à lui-même; de Hume, opposé à Locke et à Hobbes, nonobstant le mot ‘contrat social’ .

3. Dans le cas particulier où la politique est le champ des réponses, sinon celui des questions, la différence encore exclut la référence et le référendum. A dire que les philosophes ici considérés ont écrit sous un souverain, on ne leur trouverait ce point commun que pour tomber aussitôt dans le partes extra partes de leurs avis, c’est-à-dire une partition des thèses politiques sans intersections ni vides. Mais la cité n’obéissait pas à l’espace euclidien: les philosophes durent donc, sous le souverain, subsumer aussi leurs problématiques; les subsomptions se désignant théorie du droit divin, ou des origines, ou de l’obéissance, ou de la prise du pouvoir, à partir de quoi on peut déceler qui fait une théologie, qui une philosophie, qui une psychologie, qui une science.

En outre, que le centre fût toujours occupé impliqua à son entour une hiérarchie des places, et que l’espace fût clos, un manque de place: d’où des déplacements (ascension, rétrogradation) et des ‘condensations’ (resserrement, élargissement).

4. La politique et la lecture se découvrent alors obéir à des lois analogues: la politique d’un philosophe est sa lecture d’un autre philosophe. Alléguer que, sous les lois, les objets au moins diffèrent, supposerait produit l’objet d’une politique comme science: c’est justement ce qui est en question, savoir s’il y eut jamais dans la politique de révolution copernicienne, ou bien seulement récupérations successives par le sujet (du souverain ou de l’idéologie) de sa place chaque fois perdue. La politique n’aurait alors été que la métaphore du sujet, ce qui l’accompagne dans ses déplacements.

5. Mais en retour, si une politique comme science a été ou était inventée, loin qu’elle rende caduques les anciens problèmes, elle les relira mieux: c’est bien de la politique qu’auront parlé les philosophes, et la différence d’une lecture entre deux d’entre eux aura été différence dans la politique même.

François Regnault.

Notes

1. Cahiers pour l’Analyse, no. 5, ‘Avertissement: Concept de la ponctuation’