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This project is funded by an Arts and Humanities Research Council (AHRC) research grant and is supported by the Centre for Research in Modern European Philosophy (CRMEP) and Kingston University's Faculty of Arts and Social Sciences.

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Avertissement

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Si la conscience se constitue d’exclure le désir de son champ, et de réduire son corrélat subjectif à l’impact d’une ponctualité, la psychologie expérimentale n’est pas sans paradoxe, qui voudrait, pour le soumettre aux lois mêmes qui le retranchèrent, revenir sur ce qu’elle saisit comme le lieu de l’exclu - soit la personne et son équation, source d’erreur et de passion.

Si l’on est en droit de reconnaître que de la science dont la psychologie expérimentale se peut réclamer, le savoir se déploie dans un monde où la vérité ne saurait plus parler que du côté des choses, comment s’étonner qu’il faille pour obtenir, dans les termes de ce savoir, la vérité de celui-là même qui questionne les choses, en faire auparavant une chose qui réponde?

Georges Canguilhem ici nous guide, montrant à quoi vise le tour de la psychologie: des choses, donner à son objet la fonction - l’homme est un outil - et la permanence: l’homme est une place fixe dans le réseau des échanges.

Echanges avec le milieu biologique, mais aussi échanges avec ses partenaires sociaux: ce noyau que serre toujours plus l’entrecroissement des tests, n’y faut-il pas reconnaître l’élément décomptable d’une politique rationalisée, réglée d’après la grille des besoins et des capacités? On comprend mieux alors qu’à l’expérimentation, se noue indissolublement dès l’origine un rapport double, où la psychologie fournissant un sujet à une politique rationnelle, la politique se prouvera rationnelle de garantir à la psychologie les moyens de son progrès (A. Grosrichard).

A cette conjonction, la psychologie ne peut que donner son aval, confirmant l’efficacité de ses pratiques par l’évidence d’un appareil qui assure la permanence et l’ustensilité de son objet: il s’agit [74] alors de la position d’un moi de maitrise et de synthèse, support de toutes les servitudes instrumentales, - car il faut, Marx l’a démontré, pour que l’homme soit un outil, qu’il soit maître de soi -; le sujet de la science, condensé, devient propre à être manié par la science même, assurée désormais qu’il n’est rien dans ce qu’elle exclut, dont elle ne puisse à son gré savoir tout.

La psychanalyse ici ne peut mieux marquer sa position qu’à situer ce moi comme une fonction de méconnaissance et de mirage, rançon d’imaginaire que, revenant sur son propre subjectum, la science doit payer pour prix de l’exclusion dont elle le cerne.

Comment le manifester plus clairement qu’au niveau de la pulsion introduite par Freud dans les termes mêmes du stimulus et de la réponse, afin que l’on entende mieux qu’il est des stimulus où, loin de s’éprouver comme noyau de synthèse, possesseur d’un organisme aux facultés dénombrables, le sujet ne peut, par sa réponse, que se barrer - comme nous le montre le Dr. Leclaire - du manque d’une différence?

Comment le manifester mieux qu’à ce niveau où toutes les déviations paraissent, qui recentrent le sujet sur un ego nucléaire? Où donc se noue le rapport singulier que la psychanalyse entretient avec la psychologie: si de fait celle-ci est bien cet étrange retour de la science sur son exclu, elle doit dessiner pour la psychanalyse, le lieu géométrique de ses égarements, recevant son unité de parcourir les bords du trou d’exclusion où la psychanalyse doit insérer son rapport à la science - rapport dont Freud, par son ‘scientisme’ , ne cesse de marquer l’insistance, mais c’est pour nous appeler à en découvrir l’excentricité.

Ainsi se comprend mieux peut-être la nécessité, pour qui parle rigoureusement de la psychologie, d’y situer la dimension d’un silence: silence de la psychologie expérimentale sur l’énoncé qui la fonde, silence de la psychologie sociale, qui, énonçant en clair le dissimulé d’une philosophie qui la récuse, se tait, du même mouvement, sur le lien qui l’y unit indissolublement (T. Herbert).

Dans ce silence, ignoré comme tel, nous sommes convoqués à reconnaître la psychologie comme un discours. Analyser ce discours serait y délimiter l’élément qui induit le silence, et le fait méconnaître; spécifier cet élément comme moi de synthèse et de maîtrise, est une tâche à présent nécessaire: on en trouvera ici les moyens.

Pour le Conseil de Rédaction

Jean-Claude Milner - 1er mars 1966.