Supplément: Les graphes de Jacques Lacan
[169]Table commentée des représentations graphiques: Avertissement
S’il est vrai que la perception éclipse la structure, infailliblement un schéma conduira le sujet à “oublier, dans une image intuitive, l’analyse qui la supporte” (Ecrits1, p. 574).
C’est au symbolisme à interdire la capture imaginaire - ce en quoi sa difficulté se déduit de la théorie.
Au moment de lire sur les schémas de Lacan quelques éclaircissements, il convient qu’on se souvienne de cette mise en garde.
Il reste qu’une telle précaution rend manifeste l’inadéquation de principe de la représentation graphique à son objet (l’objet de la psychanalyse), dans l’espace de l’intuition (défini, si l’on veut, par l’esthétique kantienne). Aussi toutes les constructions recueillies ici (à l’exception des réseaux
de la surdétermination, qui fonctionnent dans l’ordre du signifiant) n’ont-elles qu’un rôle didactique, et entretiennent avec
la structure un rapport d’analogie.
Par contre, il n’y a plus d’occultation du symbolique dans la topologie que Lacan met en place désormais, parce que cet espace est celui-là même où se schématisent les relations
de la logique du sujet.
L’inadéquation des analogies se trouve pointée sans équivoque par Lacan sur le modèle optique des idéaux de la personne. exactement
dans l’absence de l’objet a symbolique. On peut apprendre, par la note ajoutée au schéma R (Ecrits, p. 553 -554), les règles de transformation de la géométrie intuitive en topologie du sujet.
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I - Le schéma de la dialectique intersubjective (dit “Schéma L”)
Schéma complet: p. 53; schéma simplifié: p. 548.
Représentation du schéma par la chaîne L: p. 55.
Le schéma met en évidence que la relation duelle du moi à sa projection a a′ (indifféremment son image et celle de l’autre) fait obstacle à l’avènement du sujet S au lieu de sa détermination signifiante,
A. Le quaternaire est fondamental: “une structure quadripartie est depuis l’inconscient toujours exigible dans la construction d’une ordonnance subjective” (p. 774). Pourquoi? Parce que restituer la relation imaginaire dans la structure qui la met en scène entraîne le redoublement
de ses termes: le petit autre étant exponentié en grand Autre, l’annulation du sujet de la chaîne signifiante venant doubler
le moi. La symétrie ou réciprocité appartient au registre imaginaire. et la position du Tiers implique celle du quatrième,
qui reçoit, selon les niveaux de l’analyse, le nom de sujet barré, ou celui de mort (Cf. p. 589, le brid>ge analytique).
II - Le modèle optique des idéaux de la personne
Figure 1: p. 673; Figure 2: p. 674; Figure 3: p. 680
Figure 1: “L’illusion du bouquet renversé” dans Bouasse.
L’illusion consiste dans la production, par le moyen d’un miroir sphérique, de l’image réelle (inverse et symétrique) d’un
bouquet [171] caché, prenant place dans l’encolure d’un vase réel, fonctionnant comme support d’accommodation.
Cette illusion reçoit rétroactivement son interprétation de la seconde figure (p. 675-676): l’image réelle, désignée dès lors
par i (a), représente l’image spéculaire du sujet, tandis que l’objet réel a supporte la fonction de l’objet partiel, précipitant la formation du corps. On a ici une phase antérieure (selon un ordre
de dépendance logique) au stade du miroir - qui suppose la présence de l’Autre réel (p. 678).
Figure 2: Variation de la précédente.
Dans la seconde figure, le bouquet et le vase échangent leurs rôles, alors que, par la localisation de l’observateur à l’intérieur
du miroir sphérique, et l’interposition du miroir-plan A, une image virtuelle est produite.
Ce montage doit s’interpréter ainsi:
1°- La réalité du vase et son image réelle i (a), invisibles à l’observateur (et absentes de la représentation), figurent la réalité du corps et son image réelle, fermés
à la perception du sujet.
2°- Seule lui est accessible l’image virtuelle i′ (a) de l’illusion, reflet imaginaire où s’anticipe le développement de son corps dans une aliénation définitive. A noter que
l’image réelle comme l’image virtuelle sont toutes deux du registre imaginaire, mais la seconde (perception médiée par le
rapport à l’Autre) redouble l’illusion de la première (perception
‘directe’
- comme telle, fictive).
3°- Enfin, c’est le point 1 (point de l’idéal du Moi, où situer le trait unaire) qui commande pour le sujet son image de soi
(p. 679).
[172]
Figure 3: Transformation de la précédente.
La figure 3 s’obtient à partir de la précédente par la rotation à 90° du miroir-plan A et le déplacement du sujet jusqu’au
point 1. Elle a pour objet de représenter le moment de la cure où l’analyste (dont la position est située par le miroir).
se neutralisant comme autre imaginaire, annule les effets de mirage produits par le sujet, et où celuici franchit la relation
duelle et la parole vide pour percevoir son image réelle: il accède au langage de son désir. L’évanouissement de l’image virtuelle
s’interprète comme la dissolution de l’image narcissique, qui remet le sujet dans la position de la première figure, à ceci
près qu’il n’y a été reconduit que par l’effacement du miroir-plan (donc par sa médiation), et on ne négligera pas le résidu
de l’opération: la nouvelle image virtuelle qui se reforme dans le miroir horizontal et signale comme fictive la perception
directe.
C’est ainsi qu’ “une psychanalyse qui joue dans le symbolique (s’avère capable de) remanier un Moi (....) constitué dans son statut imaginaire
(p. 677)”.
Le modèle, qui donne les fonctions imaginaires et réelles de l’objet a, ne dit rien de sa fonction symbolique (p. 682).
III - La structure du sujet
Schéma R: p. 553; schéma de Schreber (1): p. 571; Schémas de Sade. 1: p. 774. 2: p. 778.
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1 - Composition du symbolique, de l’imaginaire et du réel (dit “Schéma R”)
Le schéma R est fait de la réunion de deux triangles, ternaire symbolique et ternaire imaginaire, par le li quadrangle du réel, délimité
dans un carré par la base de chacun. Si le triangle du symbolique occupe à lui seul un moitié du carré, les deux autres figures
se partageant la seconde, - c’est que les structurant, il doit dans le dessin les recouvrir. Quant au pointillé, il est mis
pour l’imaginaire.
Cette construction demande une double lecture:
1 - Elle peut se lire comme représentation de la statique du sujet; on y distingue ainsi: a) le triangle J reposant sur la relation duelle du Moi à l’Autre (narcissisme, projection, captation), avec pour sommet Φ,
le phallus, objet imaginaire “où le sujet s’identifie (....) avec son être de vivant” (p. 552), c’est-à-dire espèce sous laquelle le sujet se représente à soi; b) le champ S : avec les trois fonctions de l’Idéal du Moi I où le sujet se repère dans le registre du symbolique (voir le
modèle optique), du signifiant de l’objet M, du Nom-du-Père P au lieu de l’Autre A. On peut considérer que la ligne I M double
le rapport du sujet à l’objet du désir par la médiation de la chaîne signifiante, rapport que l’algèbre lacanienne doit plus
tard écrire $i ◊ a (mais la ligne se révèle aussitôt représentation inadéquate); c) le champ R encadré et maintenu par la relation imaginaire et le rapport symbolique.
2 - Mais c’est aussi bien l’histoire du sujet qui est notée ici: sur le segment i M, se placent les figures de l’autre imaginaire, qui culminent dans la figure de la mère, Autre réel, inscrite dans le symbolique
sous le signifiant de l’objet primordial, extérieur premier du sujet, qui porte chez Freud le nom de das Ding (Cf. Ecrits, p. 656); sur le segment m I, se succèdent les identifications imaginaires formatrices du Moi de l’enfant jusqu’à ce qu’il reçoive son statut dans le
réel, de l’identification symbolique. On retrouve donc une synchronie spécifiée du ternaire S: l’enfant en I se relie à la
mère en M, comme désir de son désir; en position tierce, le Père véhiculé par la parole maternelle.
Lacan montre dans sa note de 1966 comment traduire ce carré dans sa topologie. La surface R est à prendre comme la mise-à-plat de la figure qu’on obtiendrait en joignant i à I et m à M, donc par la torsion qui caractérise dans l’espace complet la bande de Moebius: la présentation du schéma en deux dimensions
est donc à référer à la coupure qui étale la bande. On comprend ainsi que la droite I M ne puisse renvoyer [174] au rapport du sujet à l’objet du désir: le sujet n’est que la coupure de la bande, et ce qui en tombe se nomme: objet a, ce qui vérifie et complète la formule de Jean-Claude Milner sur “$ ◊ a”: “les termes sont hétérogènes, alors qu’il y a homogénéité attachée aux places” (Cahiers pour l’analyse, n°3, p. 96). C’est là le pouvoir du symbole.
2 - Schéma de Schreber
“Schéma de la structure du sujet au terme du procès psychotique”.
Ce schéma est une variation du précédent: la forclusion du Nom-du-Père (ici P0), qui entraîne l’absence de la représentation du sujet S par l’image phallique (ici Φ0) désaxe le rapport des trois champs: divergence de l’imaginaire et du symbolique, réduction du réel à leur décalage.
Le point i du moi délirant se substitue au sujet, tandis que l’idéal du Moi I prend la place de l’Autre. Le trajet Sa a′ A se transforme en trajet i a a′ I.
3 - Schémas de Sade (1 et 2)
Schémas du fantasme sadien.
Quatre termes sont en jeu: a, objet du désir dans le fantasme; $ii, son corrélat (selon $ ◊ a), le fading du sujet; S: le sujet dit “sujet brut du plaisir” dont on peut avancer qu’il connote dans l’imaginaire l’organisme, à partir de quoi le sujet barré de la chaîne est à naître;
enfin V, la volonté comme volonté de jouissance, qui s’enlève [175] sur le plaisir comme le sujet barré sur le réel. On notera que la division du sujet “n’exige pas d’être réuni en un seul corps” (p. 778), puisqu’il n’y a pas d’homologie de l’espace symbolique à l’espace de l’intuition.
La transformation du premier au second schéma, qui “ne se traduit (....) par aucune réversion de symétrie sur axe au centre quelconque” (p. 778), exprime seulement le déplacement de la fonction de la cause, suivant le temps du fantasme.
IV - Les réseaux de la surdétermination
Réseau 1-3: p. 48; Répartitoire A Δ; Tableaux Ω et ο: p. 50.
Représentation du réseau 1-3: p. 56; Réseau α, β, γ, δ: p.57.
Le montage progressif des réseaux fait émerger certaines des propriétés de la surdétermination:
1. Réseau 1-3: émergence de l’anticipation simple par un réseau de répartition dissymétrique. où la mémoire apparaît comme
la loi élémentaire de la répétition (graphe connexe et pseudo-symétrique).
2. Répartitoire A Δ, et tableaux: émergence, par le moyen d’une seconde répartition dissymétrique. d’une anticipation complexe
complétée par la rétroaction.
3. Représentation du réseau 1-3: transformation du précédent en réseau α, β, γ, δ.
V - Les graphes du désir
Graphe 1: p. 805; Graphe 2: p. 808; Graphe 3: p. 815; Graphe 4: p. 817.
On peut lire sur le premier graphe l’inversion qui constitue le sujet dans sa traversée de la chaîne signifiante. Cette inversion
se fait par l’anticipation, dont la loi impose au premier croisement (sur le vecteur S. S’) le dernier mot (à comprendre aussi “fin mot”, c’est-à-dire ponctuation). et la rétroaction, énoncée dans la formule de la communication intersubjective, qui rend nécessaire
un second croisement, où situer le récepteur et sa batterie. Le second graphe compose, à partir de la cellule élémentaire
l’identification imaginaire et l’identification symbolique dans la synchronie subjective; la chaîne signifiante reçoit ici
sa spécification de parole. Elle devient vecteur de la pulsion, entre désir et fantasme,) dans le graphe complet - le graphe
intermédiaire ponctuant seulement la question du sujet l’Autre: “Que me veut-il”, á inverser dans son retour: “Que me veux-tu?”.
Notes
1. Rédigé par la seconde édition des Ecrits de Jacques Lacan, aux Editions du Seuil. ↵
Editorial Notes
i. In this HTML version of the article, the character ‘$’ represents the Lacanian symbol for the
‘barred subject’
. See the PDF version for reference. ↵
ii. The original text has ‘S’, retained in the French reprint in Lacan’s Ecrits; ‘$’ replaces it in the recent English edition of Lacan’s Ecrits (NY: Norton, 2006), p. 907/862. ↵