Compter avec psychanalyse
[83] La pratique de la cure psychanalytique confronte celui qui l’approche à
l’existence du sujet désirant; ce sujet, que l’on peut dire sujet de
l’inconscient ne trouve de place dans aucune psychologie,de même qu’il
semble exclu de toute logique des énoncés. Aussi le psychanalyste, engagé
dans son expérience, doit-il nécessairement considérer - comme J. Lacan l’a
souligné - les références fondamentales de ce sujet que sont, et
l’altérité, et le signifiant, dans leurs rapports avec la réalité de la
différence sexuelle et le mythe de l’objet perdu. En même temps que
l’inconscient et que la fonction centrale du manque, se dévoilent ainsi les
impasses du savoir et l’ordre du fantasme.
Compter avec la psychanalyse est une nécessité devant laquelle l’esquive est
de règle; pour tenter cependant d’entrer dans cette histoire très présente,
il suffira sans doute de rappeler que sur la connaissance du sujet qui
désire et qui dit, le conte n’est jamais clos.
Serge Leclaire
I. Les Pulsions
Compte-rendu: Séance du 12 Janvier 1966. Exposé du Dr. Leclaire
[84] Pour introduire le fragment clinique sur lequel il appuie son exposé, le Dr.
Leclaire rappelle à propos des pulsions le point de vue dualiste auquel
Freud s’est toujours tenu, le privilège accordé en psychanalyse aux
pulsions sexuelles dont il fit par la suite les pulsions de vie; celles-ci,
partielles de par leurs sources, visent un plaisir partiel: le plaisir
d’organe (Organlust).
Premier temps: cas de Claude
Il s’agit d’un émoi pulsionnel d’un type peu commun. Ce qui insiste dans le
discours du jeune homme est sa demande d’une ponctuation constante, par
l’autre, que son dire doit ainsi soutenu, scandé, voire CLOS par son
interlocuteur.
Les interprétations se référant à quelque dimension d’incontinence restent
sans efficacité. L’évocation d’un émoi respiratoire-oral du type
“ventouser” met davantage sur la voie.
Des repères historiques fournis, retenons l’histoire volontiers rappelée
d’une naissance difficile où il est question de VOILE et de points de
suture qu’il aurait fallu pratiquer sur la mère.
Des données de l’analyse, soulignons la permanence d’un fantasme de
réparation où la représentation d’une valve-clapet intervient
régulièrement; ce fantasme mène à la mise en évidence d’un émoi oral
profond. Les thèmes de ponctuation, de scansion, de clôture se précisent
comme effet de clapet obturateur.
L’histoire, alors, se reconstitue ainsi: c’est lui, et non pas seulement sa
mère, qui avait dû, peu après sa naissance, subir une intervention
chirurgicale réparatrice, car il était atteint d’une très légère
malformation du voile du palais, qui entraînait une “fuite” [85] rendant
elle-même la succion difficile, presqu’impossible. La réparation
chirurgicale sur le mode d’une suture constitue, dans son atypie, le modèle
d’une satisfaction pulsionnelle primaire (infléchissant en fait toute
l’oralité du sujet et le situant aux confins d’une structure psychotique).
Dans le cours de l’analyse la demande de scansion équivaut presque à une
demande (de CLAUDE de CLORE) d’assurer un refoulement incertain.
Deuxième temps
Le problème de la pulsion du point de vue freudien.1
Commentaire de la définition freudienne:
Définition: la pulsion est le représentant psychique d’une force constante
émanée de l’intérieur de l’organisme et qui tend à se satisfaire par la
suppression de l’état de tension régnant à la source pulsionnelle
elle-même.
Représentant psychique: le psychanalyste a toujours affaire à des
représentants - de l’émoi, de la pulsion, - et il est vain de s’interroger
à partir du terme de représentant sur le représenté.
Constance de la force: elle est corrélative de l’énergétisme issu du souci
de rigueur qui mène Freud à introduire dès le début de sa recherche la
catégorie de quantité.
Emanée de l’intérieur de l’organisme: c’est que l’organisme est conçu comme
un système fermé par rapport à lui. Cette distinction intérieur-extérieur
tournerait autour de la possibilité de fuite, c’est à dire de la
possibilité de se séparer de la source d’excitation.
Enfin notons que l’objet qui permet de réduire l’état de tension régnant à
la source pulsionnelle est dit par Freudindifférent.
Le problème de la classification:
La démarche de Freud dans la classification des pulsions est de rechercher
les plus primitives; or, biologiquement les pulsions sexuelles sont
irréductibles aux pulsions du moi en ce qu’elles dépassent l’organisation
de l’individu.
[86] Quoique les pulsions sexuelles constituent le matériel analytique Freud
conservera ce dualisme.
Comment le problème s’est-il posé à Freud?
On a vu que la notion de pulsion était liée à l’énergétisme; elle l’est
aussi au point de vue économique, celui du plaisir: à une diminution de
tension correspond le plaisir; à un accroissement, le déplaisir. L’appareil
psychique a pour rôle de maîtriser excitations internes et externes.
Ce point de vue rencontre des difficultés lorsqu’on touche au problème du
masochisme ou à celui de la compulsion de répétition. Freud le conserve en
distinguant dans la recherche du plaisir un circuit court: vers la mort,
plaisir suprême, cessation de toute tension, et un circuit long où les
pulsions de vie apparaissent comme trouble: paix dans ce processus qui mène
à la mort. Les pulsions de mort apparaissent ainsi comme fondamentales.
Le paradoxe du plaisir
La découverte de Freudest à la fois dans ce qu’il dit et un peu à côté.
Bien que captif de la métaphore énergétique, Freud confronté au problème
économique posé par le plaisir du masochiste, invoque le facteur
qualitatif. Il se réfère au fantasme du retour à un état antérieur (mythe
de l’androgyne dans le discours d’Aristophane). La véritable définition de
la pulsion serait à chercher dans cette direction: la différence entre la
satisfaction obtenue et la satisfaction recherchée pousse le sujet toujours
en avant parce que le chemin en arrière vers la satisfaction complète est
généralement barré; la pulsion se situe dans la différence même.
Troisième temps
Ajustement de la définition de la pulsion
Le plaisir de la satisfaction obtenue est lié au souvenir de la satisfaction
cherchée. Il mène à la constatation du fait de la différence, et de
l’inaccessibilité de l’objet premier. Ainsi le but réel de la ‘poussée’
semble être non la réduction d’une différence de tension mais
l’actualisation d’une différence irréductible.
Définition ajustée:
La pulsion refoulée est une force constante qui assure et maintient la
différence éprouvée comme satisfaction au niveau du corps. Dans le cas de
Claude la satisfaction première est la suture du voile palatin. Ceci fait
apparaître la différence entre le niveau du besoin où un objet déterminé
apaise la tension, et celui du plaisir qui, lui, vise un objet indifférent.
Le plaisir est l’évocation de la non-différence comme non-atteinte.
[87] Quatrième temps
Problème de la constance de la pulsion
Freud nous dit que la pulsion n’agit pas par brusque bouffée, mais dans
cette perspective si l’excitation est vraiment constante, il ne devrait
jamais y avoir de satisfaction.
On doit donc supposer la coexistence de la constance et d’une certaine
pulsation.
La pulsion dans sa constance implique le corps comme affecté de déhiscences
des besoins premiers; c’est une surface affectée de trous qui deviennent
des lieux signifiants, par rapport à la perte du premier objet. Mais cette
surface est aussi résistance; le corps s’offre comme instance refoulante,
car sur lui peut s’imprimer une trace comme marque d’une rencontre. Ainsi
lorsqu’on a suturé le voile de Claude le besoin est comblé; il reste une
trace: une relative atonie due à la cicatrice. A ce niveau il n’y a pas
encore de refoulement, le représentant de l’émoi qui s’offre au refoulement
se présente électivement comme une onomatopée de clappement: cl’o, qui
ressemble à une interpellation du sujet Claude, et, consciemment, se
retrouve dans le verbe clore.
Le courant pulsionnel, dit Lacan, a quelque chose d’irrépressible, ce qui
implique la répression. Le corps apparaît bien comme insistante refoulante,
surface écran où peut se marquer la trace, impact de la jaculation
signifiante, et le plaisir d’organe rejette dans une intemporalité de
référence la trace de la satisfaction mythique du besoin, dont le souvenir
oublié constitue la pulsion dans sa force et l’inconscient dans sa
pérennité.
Cinquième temps
L’objet de la pulsion
Pour Freud il n’est pas spécifique, il est interchangeable. Dans le schéma
lacanien, l’objet est un presque-rien, un à-contourner.
On peut préciser à présent: l’objet se définit comme quelque chose qui
assure, donc ne réduit pas la différence entre un pareil et un pas pareil.
Il est l’écart même de la différence. La pulsion souligne dans l’objet sa
valeur d’indice de l’écart entre les termes d’un couple objet perdu - objet
présent. La pulsion refoulée vise l’objet comme reste de l’ordre du
signifiant.
Conclusion
Objet de la pulsion: est-il signifiant ou objet (au sens (a))? C’est
indissociable: il est l’objet (a) pour ce qu’il convient au terme de
satisfaction recherchée, et le signifiant pour ce qu’il convient au terme
de la différence (matérialité de la satisfaction obtenue). La différence
est vécue comme connotation de l’antinomie du plaisir, comme représentation
de la schize du sujet.
[88] Dualité des pulsions
La pulsion émane de l’intérieur; on en fait l’expérience comme d’une
non-fuite possible, d’une non-séparation de la source d’excitation. La
pulsion vise l’instauration d’un
‘autre’
séparable et apaisant.
La pulsion de mort viserait le côté
‘objectal’
de l’objet, et réintroduit le
séparable comme perdu; la pulsion de vie serait verbale, affirmant le
séparable comme signifiant, transgressant de la surface corporelle.
La pulsion assure la mise en place de cette structure radicale où le sujet
n’est pas encore placé, caractérisée par le manque de l’objet perdu et
l’altérité de ce séparable distinct.
Compte-rendu de F. Guery)
IIA. Éléments pour une problématique psychanalytic du désir: Expose du Dr. Leclaire
Compte-rendu. Séance du 2 Février 1966. Exposé Dr. Leclaire
Contrairement à bien d’autres, ce terme de désir n’a pas encore sa place
assignée et réduite dans la terminologie analytique. De plus, le
‘Wunsch’
freudien, clé de voûte de la Science des rêves, ne recouvre pas le
‘désir’
,
au sens lacanien. Parler de cette dimension majeure de l’inconscient,
nécessite donc une mise en place terminologique.
i. Situation du désir au sens freudien
a - Connotation du terme Wunsch
Pour rendre l’aspect passionnel et libidinal du mot désir en français,
l’allemand emploierait plutôt:
‘Begierde’
. Le
‘Wunsch’
lui, exprime un
voeu, un souhait qui comme dans les contes de fée n’arrive pas tout à fait
à être dit, formulé ou su, et garde quelque chose de nostalgique et
d’illusoire.
Chez Freud (Science des rêves chap. VII, 3), quatre types de désirs (Wunsch)
sont distingués:
1 - désirs issus de besoins naturels (boire, uriner) qui contrarient le
besoin de dormir.
2 - désirs pré-conscients non réalisés et récemment ravivés dans
l’expérience du rêveur.
3 - désirs jamais accomplis et refoulés depuis toujours dans l’Inconscient.
4 - désirs inconscients proprement dits: inaccessibles et irréductibles (cf.
les Titans de la légende).
[90] ii. Métaphores illustrant le fonctionnement du
‘Wunsch’
dans le rêve
1 - Celle du capitaliste et de l’entrepreneur
“S’il nous est permis de recourir à une comparaison: il est très possible
qu’une pensée diurne joue le rôle d’entrepreneur de rêve; mais
l’entrepreneur, qui, comme on dit, a l’idée, et l’envie de la réaliser, ne
peut rien faire sans capital; il lui faut recourir à un capitaliste qui
subvienne aux frais, et ce capitaliste qui apporte l’investissement
psychique indispensable au rêve est toujours, quelle que soit la pensée
diurne, un désir venant de l’inconscient’, p. 305 (Ed. Club Français du
Livre).”
2 - Celle des dentistes
“... je suis tenté de dire que la représentation refoulée est comme le
dentiste américain, qui ne peut exercer son métier dans nos pays que s’il
trouve un médecin régulièrement diplômé qui lui serve d’enseigne et le
couvre aux yeux de la loi. Et, de même que ce ne sont pas les médecins les
plus occupés qui concluent ces sortes d’alliance, ce ne sont pas, dans la
vie psychique, les représentations préconscientes ou conscientes qui ont
attiré sur elles le plus d’attention, qui serviront à couvrir des
représentations refoulées”, p. 306.
b - Définition du Wunsch:
Dans la perspective du schéma de l’appareil psychique conçu comme un système
réflexe qui tend à réduire au minimum excitations externes et internes, la
nature du désir se définit: par le souhait du rétablissement de l’identité
entre une perception et la trace mnésique qui lui est restée associée lors
de l’apaisement d’une première excitation, donc par la satisfaction
hallucinatoire. La pensée intervient pour remplacer la satisfaction
hallucinatoire réellement insuffisante en rétablissant par une épreuve
extérieure l’identité souhaitée.
c - Le désir - La réalité
Le système primaire - Le système secondaire.
Le système primaire ne connaît que le désir et ne vise qu’à l’agréable de la
décharge; le système secondaire a, lui, pour fonction d’investir les
souvenirs de façon que soit bloqué le dégagement de désagréable et que soit
atteinte une satisfaction durable et sûre. La pensée qui intervient dans ce
système n’est donc qu’un détour qui fait entrer en jeu un appareil moteur
où est intégrée une part de désagréable bloqué.
Ainsi s’établit un lien fondamental entre pensée et plaisir, en même temps
qu’est dépassée la perspective énergétique, l’opposition [91] se situant
entre désirs inconscients d’une part et visées du système secondaire
d’autre part.
Pour résumer, le Dr. Leclaire rappelle le conte des
trois premiers désirs cité par Freud dans la Science des rêves (p. 474, n. 1 ou p. 315, n.2) et qui contient:
- le thème de la censure
- le thème du voeu à peine formulé, déjà réalisé
- la question: pour qui le plaisir?
- la question: de quoi le plaisir?
- le thème de l’autre.
Dans son attitude à l’égard des désirs de ses rêves, le rêveur apparaît
ainsi comme composé de deux personnes liées néanmoins par une communauté
profonde. Au lieu de me livrer à ce sujet à de nouveaux développements, je
vous rappellerai un conte connu où se trouve exactement la même situation.
Une bonne fée promet à deux époux miséreux la réalisation de leurs trois
premiers désirs. Heureux, ils se mettent en devoir de choisir ces trois
désirs. Séduite par l’odeur de saucisse qui se dégage de la chaumière
voisine, la femme est prise d’envie d’avoir une paire de saucisses. Un
instant et les saucisses sont là: c’est la réalisation du premier désir.
Furieux, l’homme souhaite de voir ces saucisses suspendues au nez de sa
femme. Aussitôt dit, aussitôt fait, et les saucisses ne peuvent plus être
détachées du nez de la femme: réalisation du deuxième désir qui est celui
du mari. Inutile de vous dire qu’il n’y a là pour la femme rien d’agréable.
Vous connaissez la suite. Comme au fond, l’homme et la femme ne font qu’un,
le troisième désir doit être que les saucisses se détachent du nez de la
femme. Nous pourrions encore utiliser ce conte dans beaucoup d’autres
occasions ...
iii. L’objet de la pulsion
La problématique du désir inaccessible et indestructible évoque de façon
décalée la problématique de la pulsion qui lui est en fait parallèle.
Cette pulsion était apparue en son objet comme actualisation d’une
différence irréductible et insaisissable. Or, cette dimension de la
différence réapparaît de façon caractéristique à propos du désir dans la
distinction entre satisfaction primaire et satisfaction secondaire.
Ce clivage que toute pratique analytique retrouve et qui distingue un pareil
d’un autre pas pareil et pourtant à lui-même pareil, révèle donc
l’incommensurabilité de deux ordres analogues à celle du côté d’un carré à
sa diagonale.2
[92]
Soit m = l’unité de mesure du côté C (triangle rectangle isocèle)
Soit M = l’unité de mesure de la diagonale D
M - m = x, c’est l’objet (a) irréductible, insaisissable innommable dans
l’ordre des nombres rationnels.
Nous pouvons, à partir de là distinguer trois niveaux de clivage:
1 - le besoin: qui ne pose en somme que le clivage d’un détaché à un séparé,
c’est à dire d’un corps à l’objet spécifique du besoin.
2 - la pulsion: clivage entre la trace et son refoulement
3 - le désir: clivage par l’exclusion qui introduit la dimension du sujet ou
d’altérité redoublée.
iv. La question du désir ou de l’altérité.
Le désir est fondamentalement lié au sexe et à l’altérité et implique donc
différents clivages qu’il importe maintenant de préciser
1 - Clivage de la différenciation sexuelle 3
2 - Clivage du signifiant et de l’objet
L’objet se présente dans l’ordre du signifiant comme le nombre irrationnel
pour les pythagoriciens; il est ce reste chu de la concaténation
signifiante et inintégrable par elle, bien qu’elle ne puisse s’en passer
pour se soutenir. L’objet est d’abord ce reste non-unarisable, au sens de
l’unaire du signifiant; il se définit comme pré-unaire, ou, pour reprendre
la formulation employée à propos du corps, comme le non-deux.
3 - L’ordre signifiant:
Cet ordre en concaténation est une suite que la vérité contraint. Mais cette
contrainte, pour le psychanalyste, est aussi celle du corps, l’ordre qu’il
considère étant un ordre incarné.
L’objet, bien qu’il soit inclus dans cet ordre, n’en est en fait que le
corrélat en tant que défini par rapport au signifiant dans la relation de
déjection: celle-ci se réalise en deux modalités dont le rapport reste à
élucider.
[93] a - L’arbre généalogique: l’objet apparaît comme “déjet” dans l’ordre
d’un certain engendrement par le corps qui pose le modèle structural de
l’Oedipe (cf . dans la Bible tout de suite après le récit de la chute, la
généalogie).
b - Le cycle ouvert: dans le modèle structural de la procréation par
reproduction, l’ordre signifiant est une boucle qui se répète mais ne
coïncide pas avec elle-même et laisse à chaque spire un petit reste.
L’enfant peut justement être considéré comme objet (a) comme le type même de
cet objet chu, produit, séparé. Et si la mère le considère uniquement comme
objet (a) comme reste, faisant donc abstraction du fait que l’enfant est
lui-même clivé, c’est à dire, affecté de besoin, de manque-à-être aussi
bien que marqué du sexe. Le destin de celui-ci risque d’être psychotique.
Mais, à l’inverse, il peut être de façon exclusive considéré comme
signifiant et si la mère en reste à cette relation de pure nomination, le
destin de l’enfant risque pareillement d’être psychotique.
L’enfant apparaît donc comme lieu de projection électif des deux clivages
précédents: celui du non-deux (objet) et celui de l’unaire (signifiant).
4 - Le clivage du sujet comme exclu
C’est dans ce jeu du non-deux et de l’un que s’instaure la dimension propre
du sujet. Mais alors que l’objet, par rapport à la concentration
signifiante, est en relation de déjection, le sujet est en relation
d’exclusion.
Or, de même que le signifiant, dans sa définition linguistique, comme
“matérialité investie d’un certain pouvoir d’appel”, est inscrit dans le
temps de la succession, de même, le sujet renvoyant à cette nature déroulée
du signifiant, se présente comme “scansion”. Ou, suivant la terminologie de
J.-A. Miller, comme “battement à éclipses”, alors que l’objet se situe
latéralement et en dehors de cette scansion.
Après cette mise en place des différents clivages, quatre termes au moins
sont distingués: signifiant, sujet, objet, corps. Le mouvement appelé désir
y compte ses éléments nécessaires. Il resterait à en donner la description
dans ses différentes modalités normales et pathologiques.
En conclusion, le Dr. Leclaire propose quelques constantes pouvant servir à
décrire partiellement ce mouvement du désir. Il énumère ainsi, sans les
développer, les caractères suivants:
1 - L’aliénation: le désir de l’homme est le désir de l’autre. Freud dit
d’un autre = de l’Inconscient
[94] 2 - La focalisation: par rapport à un objet qui est cause du désir ou
visé par le désir. Mais cet objet, comme par une difficulté d’accommodation,
est justement ce qu’il n’est pas dans la réalité.
3 - Son implication de réciprocité qui le distingue de la pulsion dont
l’objet (un “presque rien”) est moins marqué de cette relation à un autre,
à un tiers par rapport au pôle objectif ou subjectif du désir.
4 - Dimension toujours sexuelle. Car le désir est engendrant: il dépasse
l’organisation de l’individu. Référence au phallus qui beaucoup plus
nettement que l’enfant est a et Sa.
5 - Organisation autour d’un fantasme, suivant la formule: $ ♢ a
6 - Irréductibilité des termes singuliers qui marquent, pour chacun, le
mouvement du désir.
IIB. Éléments pour une problématique psychanalytic du désir: Discussion
A propos d’une demande d’éclaircissement, le Dr. Leclaire insiste sur la
nécessité de maintenir la distinction entre le signifiant (Sa) et son reste
(a), ce que ne permet pas la définition du Sa par l’unarité du trait: le un
de ce trait nous intéresse pour autant qu’il est développé et connote un
effet de transgression.
Pour souligner la difficulté de cette distinction, il fait remarquer que
l’analyste en fonction est dans une situation proche de la position
perverse, tendant à manier le signifiant tel un objet.
Milnerremet en question cette “latéralité” de l’objet par rapport au
signifiant: ne serait-il pas possible de l’insérer dans l’ordre signifiant,
en le cernant comme ce qui, dans le cycle non-coïncident tracé par le Dr.
Leclaire, assume la fonction calme du non-cyclique? Il conviendrait alors
de spécifier les places où une telle fonction peut s’ancrer et de reprendre
sous ce jour les deux figurations de l’ordre signifiant avancées par le Dr
Leclaire, l’arbre (généalogique) et le cycle, en montrant, par référence
peut-être à la formalisation logique, comment on peut passer de l’une à
l’autre figuration, ou pourquoi il n’y a pas contradiction entre elles.
Le Dr. Leclaireinsiste alors à nouveau sur l’irréductibilité de l’objet dans
l’ordre du nommable: lorsque je dis que la dimension de la contrainte est
représentée de façon majeure par le corps, je mets tout le poids qu’on peut
mettre pour empêcher que cet ordre signifiant ne se réduise à quelque
schéma théorique escamotant la dimension de la ‘suture’. Il porte alors la
discussion sur le sujet de la définition de cet ordre signifiant par la
concaténation. Est-ce assez en dire?
[95] Milner: Dans la concaténation, ce que je retiens c’est la pluralité des
éléments et les contraintes qu’induisent les liaisons de ces éléments.
Dr. Leclaire: Donc nous n’avons rien dit sur l’ordre signifiant tant que nous
n’avons pas parlé des éléments de cette concaténation de la nature ni de
cette contrainte.
Milner: La nature de la contrainte? Elle ne peut être que formelle.
Dr. Leclaire: Dans l’expérience singulière que vise l’analyse, la contrainte
est aussi celle des événements marquants de l’enfance. Pour mieux décrire
cette contrainte, il faudrait revenir avec plus d’exigence sur la
description du refoulement comme processus engendrant un retour sur une
trace.
Miller fait alors remarquer que, bien que l’objet soit “déjecté” alors que
le sujet est “exclu”, sujet et objet, sans qu’il y ait flottement ou
confusion, sont homogènes comme constituant une corrélation. Si par rapport
à tout espace géométrique, le sujet et l’objet sont dans une relation
d’aberration, est-ce à dire que l’objet impossible devient sujet? point du
tout, car l’objet impossible n’est pas un reste, mais bien un manque. Le
discours logique subsume ce manque d’objet qui définit le sujet du manque.
Et cet objet qui ne peut manquer que parce qu’il est nommé, c’est le sujet.
L’objet (a), c’est donc le zéro comme manque.
Si le sujet, c’est la scansion de la chaîne de mouvance et l’objet la
fonction calme de cette chaîne, l’objet peut être dit ce qui est en plus et
le sujet ce qui est en moins. Pour ce qui est du rapport entre o = (a) et
lies autres éléments du signifiant, je me hasarde: l’objet (a) c’est le
signifiant même de la suture.
Le Dr. Leclaire fait alors remarquer que l’objet n’est plus hétérogène au
signifiant et se demande à nouveau si la définition du signifiant comme
trait unaire est suffisamment explicite.
Miller répond que cette définition rend compte de la propriété qu’a le
signifiant de devoir se répéter et ne pas se dédoubler. Quant à la
matérialité du signifiant, que l’on pourrait désigner comme “l’insignifié
du signifiant”, ce non-sens irréductible qu’est la “lettre” il légitime
l’image du trait unaire qui est là pour désigner le trait minimal du sens.
Le Dr. Leclaire se demande comment il est alors possible de déterminer
l’élément calme de la chaîne.
Milner donne l’exemple du nom propre, qui peut, en certains cas,
fonctionnant comme élément calme, occuper la place de (a).
Dr. Leclaire: Peut-on dire que cet élément calme fait partie de la chaîne?
[96] Miller: Oui, comme le zéro dans la suite des nombres.
Dr. Leclaire: Il y a donc selon cette formule homogénéité du sujet et de
l’objet.
Miller: C’est l’homogénéité minimale rendue nécessaire par la corrélation.
Dr. Leclaire: Mais qui efface la non moins nécessaire hétérogénéité des
termes.
Milner: Il faudrait alors distinguer entre termes et places. Les termes sont
hétérogènes, alors qu’il y a homogénéité attachée aux places.
(Compte-rendu de J. Nassif).