A propos du concept freudien de ‘représentant’ (Repräsentenz)1
Concepts et destins de concepts
Dans leur article de 1961, ‘L’Inconscient’, J. Laplanche et S. Leclaire relevaient (Temps Modernes, juillet 1961, p. 105) pour la première fois l’importance d’un terme complexe de Freud: Vorstellungs-Repräsentanz, qu’ils proposaient de traduire par ‘représentant représentatif’ , ce dernier adjectif étant pris comme la forme adjective du terme psychologique de représentation (Vorstellung). Du point de vue théorique, il ressortait clairement de ce texte que ce terme désignait la fonction de traduction de la pulsion dont était investie la ‘représentation’ (Vorstellung). Néanmoins, le terme de représentatif était ambigu (on pouvait penser à plus ou moins ‘représentatif’ etc ...). Représentant d’autre part ne traduisait pas exactement la nuance de Repräsentanz, qui souligne davantage la fonction elle-même, mais ne pouvait être traduit par ‘représentation’ , à cause de Vorstellung.
Or, à partir de cette pure difficulté de traduction, l’interprétation même du concept s’est trouvée mise en cause explicitement de plusieurs côtés par les traductions proposées. A vrai dire, les résultats en sont curieux.
Dans un texte sur l’homme aux rats3, O. Mannoni écrit: “J’ai déjà montré comment Freud traite cette question à la fois avec la plus grande attention et la plus grande maîtrise et gauchement dans la mesure où il cherche à rester fidèle à une ancienne conception du langage (qui consiste à en faire une collection d’images d’une nature particulière, les images verbales qui se substituent aux autres images, représentant ainsi, comme il dit, les représentations.”
[44]Ou ce texte n’a pas de sens ou il signifie que le terme de Vorstellungs-Repräsentanz4 dénote quelque chose de très précis dans Freud, à savoir le rapport entre deux types d’images, les images verbales (c’est-à-dire en termes freudiens les représentations de mots: Wortvorstellung) ‘représentant’ les images de choses (c’est à-dire, de même, les représentations de choses: Sachvorstellung). Cela n’aurait évidemment rien à voir avec la problématique du rapport pulsion - représentation que paraissait conceptualiser ce terme. Mais il est tout à fait inutile de se demander comment le même concept freudien pourrait bien s’appliquer aux deux problèmes: on ne trouve jamais, évidemment, et pour cause, chez Freud, le terme de V.R., ni même de Repräsentanz appliqué à la relation entre représentations de mots et de choses. Il s’agit d’une fantaisie, d’une extension du terme par ‘association’ d’idée. Le seul intérêt de ce ‘déplacement’ théorique est sa valeur symptomatique. Dans l’affaire un terme (la pulsion) a disparu qui est pourtant essentiel: car le terme de V. R. est un apax, la forme normale du concept étant Repräsentanz (des Triebes) ou Triebrepräsentanz (représentant pulsionnel ou de la pulsion).
Le sens de cette chute, qui laisse la fonction de Repräsentanz jouer entre des représentations (Vorstellungen) se précise dans les traductions proposées par J. Lacan (“tenant lieu de la représentation”) et J. P. Valabréga ( ‘représentant de la représentation’ ).
Le de est évidemment l’essentiel, il boucle le glissement du concept: le V.R. est ‘remis sur ses pieds’ , ‘renversé’ : ce qui jusqu’ici était le ‘représentant’ (la Vorstellung) devient le représenté ( ‘de’ ) un ‘représentant’ qui n’est, en tant que tel, rien dans la théorie freudienne. Il ne faut pas confondre l’interprétation de la pensée freudienne et, comme c’est le cas pour J. Lacan à propos de ce concept du représentant, la production de concepts nouveaux; et ceci surtout précisément si le nouveau concept se construit en s’étayant sur le premier, voire en empruntant les mêmes termes. La question ne relève nullement en l’occurrence d’aucune ‘liberté d’interprétation’ du texte de Freud. Traduire V.R. par ‘tenant lieu de représentation’ n’est pas une interprétation de Freud: c’est, on le montrera, un contre-sens imposé inutilement au texte freudien par un concept tout à fait nouveau.
II. La fonction de representation de la pulsion dans le psychisme
On peut dire, sans préciser davantage d’abord, que le concept de Vorstellungs-Reprâsentanz définit un certain rapport entre le psychisme et une autre réalité désignée comme pulsion (Trieb). Ce rapport ne peut être adéquatement saisi tel qu’il est conçu en 1915 qu’à condition de voir d’une part qu’il est une des formes d’une fonction thématisée sous des formes analogues depuis longtemps; d’autre part pourquoi précisément il intervient sous ces espèces en 1915.
C’est dans le Projet de Psychologie que l’on trouve la première théorie de cette relation sous la forme d’une dépendance fondamentale affirmée de l’appareil psychique à l’égard des quantités d’excitation endogènes, c’est-à-dire venues de l’intérieur du corps (p. 323, 306-7, Ed. Fischer). La plupart des caractères qui, ultérieurement, seront reconnus à la pulsion se trouvent déjà mis en place. En premier lieu ‘l’intériorité’ , le caractère interne, endogène et par là même inévitable de l’excitation pulsionnelle, qui est assurément son prédicat fondamental. On peut se demander d’ailleurs pourquoi, après tout: endogène, interne, puisqu’en toute hypothèse, même venant de ‘l’intérieur’ du corps l’excitation ‘endogène’ parait tout aussi extérieure au psychisme, à l’appareil psychique que l’excitation ‘externe’ (excitation exercée de l’extérieur sur le corps). Ce n’est pas un hasard que cette extériorité interne qu’est l’excitation venue du corps soit perçue par Freud comme radicalement interne: elle n’est au fond si interne que d’être perçue comme pouvant à chaque instant faire irruption dans ‘l’interne’ par excellence, à savoir le psychisme. Elle est donc à la fois naturellement extérieure à celui-ci (elle vient du corps comme étranger) et d’autant plus naturellement intérieure cependant qu’elle y a sans réserve ses entrées (schutzlos ausgesetzt - p. 324). Mais cette position même fait de la pulsion ‘le ressort’ (Triebfider [Triebfeder]) du mécanisme psychique, ce qui “entretient toute activité psychique” (p. 325). Freud ne dira pas autre chose dans Pulsions et destins de pulsions: “Nous avons donc bien le droit de conclure qu’elles, les pulsions, et non pas les excitations extérieures, sont les moteurs véritables des progrès qui ont amené le système nerveux ainsi indéfiniment susceptible d’action à son niveau de développement actuel” (G. W., p. 213-214). La possibilité que le psychisme soit, [46] dans ces conditions, livré à la pulsion ne doit donc pas cacher l’envers de cette situation, à savoir que la pulsion est en position d’ ‘alimenter’ constamment le psychisme. De toute manière, il en résulte le fait fondamental qui commande l’analyse du concept de Repräsentanz: en droit le point de départ est toujours la pulsion, ce sont toujours les transformations de la pulsion qui sont en question; ‘l’origine’ de toutes les opérations qui se peuvent détailler dans l’appareil psychique sera toujours extérieure à celui-ci pour venir y figurer d’une manière ou d’une autre. La question de la nature ou plutôt de la qualité des pulsions est une question très secondaire par rapport au fait premier qu’elles sont ce qui alimente le psychisme. Aussi Freud ne fait-il aucune distinction entre les pulsions et/ou entre besoins et pulsions. La sexualité figure parmi les autres sources d’excitation endogène, sur le même plan. Dès lors le rapport entre les Triebe et le psychisme est conçu sous la forme d’une série de transformations périodiques de l’énergie proprement pulsionnelle en énergie psychique, commandées par le franchissement d’un certain seuil (p. 324). Au-delà d’une certaine accumulation d’énergie somatique (Trieb) celle-ci se transforme en énergie psychique (Antrieb) dans le système nerveux ou appareil psychique. Cette opération constitue la première forme sous laquelle est conceptualisée la fonction repérée ultérieurement comme Repräsentanz de la pulsion dans le psychisme, le problème demeurant posé comme celui du devenir d’une énergie pure (et ultérieurement de la pulsion, de la motion pulsionnelle etc ... ). Deux points sont encore à noter:
1. La théorie même de la sommation des quantités déversées dans le système Ψ exclut toute détermination particulière des éléments psychiques qui sont le transformé de l’Energie somatique: on ne peut parler de représentations, affects (Freud pose d’ailleurs que dans le système il ne doit y avoir que des différences de quantités);
2. Pour la même raison, on comprend qu’aucun ‘destin’ séparé ne soit concevable: les transformations se font de façon globale et ‘intermittente’ . Or, on retrouve une problématique identique dans des textes contemporains ou même légèrement postérieurs au Projet, et concernant par exemple les diverses inscriptions psychiques (Lettres à Fliess, 39, 52). La question certes est différente et la pulsion, son rapport au psychisme n’interviennent pas directement dans ce contexte; mais le schème de transformation, s’il porte ici sur des matériaux mnésiques déterminés, sur des représentations (Vorstellugen, Erinnerungen) et non pas sur de la quantité, est foncièrement identique sur un point essentiel; c’est toujours la totalité du système qui globalement et périodiquement se transforme.
L’analogie est beaucoup plus profonde en réalité qu’il n’y paraît d’abord. Car si les systèmes psychiques se succèdent en diverses inscriptions (Niederschriften) dans le temps, si, comme le [47] déclare parfois Freud, “à l’origine la pensée est inconsciente” (Projet, p. 317), si l’inconscient, autrement dit, est seulement une première forme d’existence des processus psychiques, dépassée par transformation au cours du temps, c’est que le psychisme se trouve implicitement assimilé à un corps, l’inconscient pensé sur le modèle du corps, d’un organisme biologique passant par des ‘phases’ , ‘stades’ . Mais précisément et corrélativement, l’inconscient ne peut être si facilement pensé comme ensemble du psychisme à un certain stade de son prétendu développement, donc biologisé que parce que dans son entier son rapport au corps est ambigu chez Freud, parce qu’il tend à en être lui-même le transformé, la forme d’apparition psychique, selon le schème que l’on vient de relever dans le Projet.
La théorie des névroses, élaborée à la même époque recourt au même type de rapport entre la pulsion et le psychisme. Dans le cas des névroses actuelles, c’est ce rapport qui est essentiellement mis en cause par une perturbation de la transformation de l’Energie ou de la communication des deux niveaux: l’essentiel demeure le mouvement par lequel une énergie indifférenciée peut venir se représenter sous forme psychique. De la même façon, dans la théorie des psychonévroses, la pulsion demeure le point de départ de l’analyse, sous la forme d’une excitation sexuelle, ponctuelle, initialement non reliée associativement à un contexte psychique, impossible à intégrer sans une opération ‘d’élaboration’ . La perturbation ne concerne pas ici l’économie de la pulsion sexuelle ‘en soi’ (Triebverarmung, Manuscrit E, p. 96/97) mais l’opération même du passage dans le psychisme en tant qu’elle peut être, dans le cas de la pulsion sexuelle, intempestive - c’est-à-dire qu’elle est soumise à des conditions de temps (maturité psychique) non observées précisément dans les psychonévroses. La fameuse ‘séduction’ n’est au fond rien d’autre que l’opération prématurée de cette ‘représentance’ de la pulsion sexuelle, comme corps naturellement étranger, dans le psychisme. Quoiqu’il en soit, les termes de la fonction de ‘représentance’ n’ont pas changé avec la mise au premier plan de la pulsion sexuelle: la question est toujours de l’effet et de la traduction psychiques d’une pulsion conçue comme étant originairement étrangère et extérieure à celui-ci. Mais si les diverses névroses se ramènent à des perturbations des affects (Affektsttsrungen) les seuls rapports entre la pulsion sexuelle et sa forme d’ ‘élaboration psychique’ sont ou bien de correspondance totale (à la puberté normale) ou d’anomalie régulière (dans tout autre manifestation anticipée): la pulsion n’a pas d’histoire (ni de développement) comme telle.
III. Le ‘représentant’ psychique de la pulsion
A - A partir de la première édition des Trois Essais, la notion de pulsion se trouve mise en place comme telle, en réfèrence, d’ailleurs presque exclusive à la pulsion sexuelle. Et pour cause: dès le début tout ce que Freud attribue aux ‘pulsions’ en général est un discours en fait contraint par les paradoxes infligés par la sexualité (libido). Dans la mesure donc exactement où le problème théorique de Freud est alors determiner la nature de la pulsion, des pulsions5, le concept même de pulsion va subir entre 1905/1915 un infléchissement tel, qu’il va venir designer non pas seulement la force pulsionelle et poussante elle-même, qui se ‘traduisait’ dans le psychisme, mais également la forme de manifestation psychique de cette force elle-même.
“Par ‘pulsion’ nous désignons le représentant psychique d’une source continue d’excitation provenant de l’intérieur de l’organisme …” (Trois Essais G.W. V, p. 67). La problématique est légèrement différente, à partir du même schème fonctionnel. Jusqu’ici le problème de la pulsion était: comment l’excitation endogène (somatique) ou pulsion est-elle traduite dans le psychisme (comme excitation psychique). Ce qu’il s’agit de comprendre c’est pourquoi, tout simplement la ‘pulsion’ n’a plus ici de traduction psychique, mais devient elle-même le représentant psychique. Il n’y a là évidemment aucune contradiction. Le problème étant de déterminer la nature de la pulsion, celle-ci apparaît comme un phénomène mixte dont un double abord est possible: abord physiologique-biologique du côté de la source de l’excitation comme chimisme (spécifique); abord psychologique pour autant que le phénomène d’excitation interne revêt des formes de manifestation proprement psychiques. [49] En réalité, la pulsion est donc à la fois excitation endogène et manifestation psychique de celle-ci, et c’est pourquoi elle est envisagée successivement sous ces deux points de vue au début de Pulsions et destins de pulsions. Si néanmoins dans le texte cité des Trois Essais et en diverses occurrences (p. ex. Pulsions et Destins de pulsions, G.W. X, p. 214) Freud semble réserver le nom de pulsion aux manifestations psychiques, c’est sans doute en vertu du point de vue plus epistémologique auquel il se place alors (interprétation attestée par le fait que Pulsions et destins de pulsions commence par une discussion épistémologique). La pulsion est d’abord ‘représentant psychique’ de l’excitation pour une recherche qui porte sur la vie psychique (la psychanalyse). (Pulsions, G.W. X., p. 214). Un compromis consistera, enfin, à poser que la pulsion est un concept-frontière (Grenzbegriff): “Si nous nous détournons maintenant du côté biologique pour considérer la vie psychique, la ‘pulsion’ nous apparaît comme un concept-frontière entre le psychisme et le somatique” (ibid.). Cette dualité de perspective n’est peut-être pas tenable jusqu’au bout en tout cas le passage de l’une à l’autre reste le même mystère désigné auparavant par la ‘transformation’ d’énergie ou ‘l’élaboration psychique’ . Parler de ‘psychischer Repräsentanz’ , c’est, de même, simplement mettre un nom sur un problème.
On en retiendra qu’il est en quelque sorte conforme à la nature même de la pulsion que, dans le discours théorique freudien, ce terme désigne tantôt l’aspect organique-somatique, tantôt l’aspect psychique, tantôt enfin les deux. De même pour celui de libido. Bien plus, représentant et représenté échangent - on va le voir - très librement leurs positions, et il n’est même pas jusqu’au terme désignant la fonction du passage qui ne puisse changer. Non seulement en effet Repräsentant et Repräsentanz sont utilisés identiquement, mais il arrive même que Freud utilise les termes synonymes de Vertretung, Vertreter. Par exemple: “Nous nous formons donc la représentation d’un quantum de libido dont nous nommons le représentant psychique (psychische Vertretung) libido du moi ....” (Trois Essais Ed. 1915, G.W. V, p. 118). Enfin, il faut ajouter que plus tard Freud utilisera abondamment et indifféremment les termes de Vertretung et Repräsentanz, dans des contextes un peu différents, pour renvoyer, par exemple, aux relations du moi au monde extérieur, du surmoi à l’instance parentale, etc …
B - Par là, aucune référence n’est faite à la représentation - au sens de Vorstellung - et ce n’est pas par hasard. Pas plus que ce n’est un hasard que le concept de ‘Vorstellungs-Repräsentanz’ n’apparaisse pas dans Pulsions et Destins de pulsions: il ne pouvait pas y apparaître. On n’a pas assez médité le titre même du premier des écrits de métapsychologie: pulsions et destins de pulsions. [50] Le sens de la problématique réelle de Freud en 1915 est faussée par l’importance même accordée au texte capital sur l’Inconscient, qui concerné en apparence essentiellement le sort des représentations. Il peut alors sembler, et il semble généralement, que le refoulement, par exemple, soit une opération qui porte électivement sur des représentations. C’est vrai, c’est même si vrai qu’on en verra plus loin la conséquence. Une chose néanmoins est certaine: le refoulement est défini dans Pulsions comme un destin de pulsion spécifique. Cela manifeste d’abord que la réalité avec laquelle en chaque cas on peut avoir affaire est en dernière analyse une pulsion soumise à tels ou tels aléas. “Elaboration psychique”, “manifestation psychique”, “représentants” ne sont conçus par Freud que comme des formes de manifestation d’une réalité dernière qui est toujours une énergie pulsionnelle. Bien entendu, cette quantité, dans le texte même de Pulsions se trouve immédiatement éclatée, découpée en buts, objets partiels donnés dans des représentations. Il n’en reste pas moins fondamental que justement ces déterminations soient conçues comme les prédicats d’une réalité originaire indéracinable (quand on peut au moins aussi bien considérer que ces déterminations sont premières, ou que ce terme d’origine n’a pas de sens). Cette façon de poser le problème est attestée par un usage frappant: la réalité dont l’analyse théorique doit suivre le destin ou les transpositions est la pulsion elle-même sous la forme de la motion pulsionnelle (Triebregung) et jamais la représentation comme telle. Première ligne du texte sur le Refoulement: “Un destin possible pour une motion pulsionnelle ...” De même, pour désigner ultérieurement les composantes de l’Oedipe, Freud recourt toujours, comme aux seules unités pertinentes, aux motions pulsionnelles qui le constituent.
IV. Le concept de Vorstellungs-repräsentanz
A - Dans le texte sur le ‘Refoulement’, la fonction dont on a suivi la genèse prend une forme quasi-définitive dans le concept de Repräsentanz et notamment de Vorstellungs-Repräsentanz. Si on laisse de côté, provisoirement, le problème du contexte dans lequel il est introduit, on peut en préciser ainsi le sens exact. Sa première occurrence figure, comme on sait, dans la définition de la fixation: [51] “il se produit une fixation qui consiste en ceci que le ‘psychische (Vorstellungs-) Repräsentanz des Triebes’ se voit refuser l’accès au conscient” (G.W. X , p. 250).
1 - psychische renvoie simplement au fait que la pulsion, nous le savons, peut être considérée de deux points de vue.
2 - des Triebes: la pulsion n’est plus ici Repräsentant mais elle a quelque chose comme une ‘représentance’ . En réalité, conformément à l’ambiguïté définie plus haut, ce changement de position de la pulsion est permis par la structure à double entrée elle-même et ne pose aucun problème:
- lorsque Freud dit: la pulsion est Repräsentant du corps etc ... il fait de l’aspect psychique de la pulsion le représentant de son aspect somatique;
- lorsque - comme ici - Freud parle de la Repräsentanz des Triebes ou Triebrepräsentanz, il décide simplement d’appeler Trieb (pulsion) non pas l’aspect psychique, mais l’aspect physiologique. Le sens est évidemment exactement le même (sinon le signifié, légèrement différent).
On n’a pas pris la peine d’expliciter cette identité évidente qu’en raison des contre-sens que son ignorance a curieusement produits. II en résulte donc qu’il n’y a aucune différence conceptuelle entre Repräsentant et Repräsentanz. Toutefois, en dehors d’une connotation un peu différente, ces termes se sont trouvés fixés de manière plus précise dans leurs emplois à partir de ce texte même du Refoulement: Repräsentant renvoyant simplement à la structure à double pôle exposée plus haut.
Repräsentanz déterminant davantage, dans cette opposition, le pôle psychique dans sa dualité d’aspect (Vorstellung, Affekt) et tendant à désigner ces termes mêmes à travers la fonction de ‘représentance’ .
3 - (Vorstellungs-) Le tiret indique le terme paradigmatique: Affekt. Ce qui peut se figurer:
[52]On pourra donc dire plus brièvement, par exemple, que la représentation (Vorstellung) ‘repräsentiert’ la pulsion (Cf. G.W. X, p. 255, 256, 257, 258, etc ...) et l’on parlera du ‘Vorstellungsanteil der Repräsentanz’ (de l’élément représentation du représentant), l’autre ‘Anteil’ étant évidemment l’affect.
Concluons sur ce point: ‘représentant de la représentation’ , ou ‘tenant lieu de la représentation’ sont peut-être des concepts analytiques: mais s’ils se présentent comme traduction du concept freudien, ce sont, évidemment, des contre-sens: c’est la représentation comme telle qui est ‘représentance’ de la pulsion. La difficulté de traduction reste réelle. On peut proposer ‘représentance’ pour Repräsentanz ou représentant. Et pour l’expression - unique - Vorstellungs-Repräsentanz, avec J. P. Briand: représentant-représentation.6
B - Il reste à déterminer pourquoi le concept apparaît, sous cette forme, dans le Refoulement, et quelles sont ses implications. Comme on l’a vu, le refoulement est envisagé dans cet article comme un ‘destin pulsionnel’ , c’est-à-dire comme destin parmi d’autres d’une motion pulsionnelle. Mais il apparaît rapidement qu’il existe une relation tout à fait fondamentale entre le refoulement et l’opposition conscient-inconscient dans les systèmes psychiques.7 Aussi le refoulement n’est-il pas un destin pulsionnel immédiatement possible pour une motion pulsionnelle (G.W. X, p. 250). Autrement dit, la liaison toute particulière entre le ‘destin’ du refoulement (comme destin de pulsion) et le devenir inconscient de représentations (conscience-inconscience qui, comme il est dit dans l’Inconscient, n’a aucun rapport avec la pulsion comme telle) impose la production d’un concept intermédiaire qui à la fois - dénote la dépendance à l’égard de la pulsion, le caractère ‘destin de pulsion’ du refoulement,
[53]- détermine, conformément à l’expérience clinique du refoulement dans les névroses cette fonction de ‘destin’ par rapport aux représentations et affects qui sont sa monnaie courante.
Ce concept est précisément celui de Repräsentanz ou Triebrepräsentanz, qui permet de faire l’unité de la théorie des pulsions proprement dite et de leurs destins, élaborée dans les Trois Essais, Pour introduire le narcissisme, et Pulsions et destins des pulsions, et la théorie de l’inconscient (annoncée précisément - et différée - dans le paragraphe qui précède celui où le concept de Repräsentanz est introduit). Dès lors, les représentations et affects sur lesquels s’exercent proprement le refoulement selon la conceptualisation antérieure doivent être en quelque sorte marqués d’un indice connotant qu’ils sont pris dans la problématique d’un destin de pulsion et ils deviennent ‘Reprâsentanz des Triebes’ . Là donc où Freud auparavant eût dit simplement Vorstellung, il précise, pour intégrer celle-ci dans sa théorie à la problématique de la pulsion: Vorstellung-Repräsentanz des Triebes. On comprend alors que par la suite Triebrepräsentanz ou Repräsentanz soient en chaque cas absolument synonymes de Vorstellung (ou d’affect, mais le plus souvent de Vorstellung). Il ne s’en est pas moins produit indéniablement une restructuration de la terminologie - même si les termes équivalents s’échangent constamment - à partir très précisément de ce texte et dans un sens très clair: souligner explicitement et conceptualiser le rapport des représentations ou des affects à la pulsion.
V. L’equivoque de la repräsentanz
En fait, l’opération est plus complexe et plus ambiguë dans sa signification et ses conséquences.
1) D’une part, en effet, il est bien évident que la fonction de représentance de la pulsion dans le psychisme, telle qu’on en a suivi l’élaboration n’est pas seulement précisée quand on détermine ainsi l’aspect psychique de la pulsion. Et ceci pour une raison très simple. Elle obéissait implicitement à l’idée de quelque chose comme une déduction du psychique: la pulsion ‘se’ représentant dans le psychisme. Le concept de Repräsentant et la structure de double perspective supposent ce mouvement d’expression (Ausdruck), de manifestation. [54] Or à déterminer le ‘représentant’ comme représentation (Vorstellung) ou série de représentations, toute déduction devient impossible. Ce que manifeste la définition même de la fixation et du refoulement originaire: le rapport entre la pulsion et son ‘représentant’ (telle représentation) n’est plus celui d’une essence à son expression ou d’une excitation somatique à son phénomène psychique (tension), mais une liaison, une fixation, la rencontre par conséquent de deux éléments extérieurs l’un à l’autre. La problématique du ‘destin de pulsion’ qui partait de la ‘pulsion’ , ne pouvait conduire qu’à supposer une sorte d’état mythique de la pulsion, antérieur à ses représentants psychiques (mythe réalisé dans les premiers schèmes de transformation de l’énergie somatique en énergie psychique). En réalité, évidemment, et tel est le sens du refoulement originaire, c’est la rencontre, la détermination psychique de la pulsion (dans une représentation, un affect où sont donnés un objet, un but), qui sont originaires.
Dès lors, dire que la pulsion ne peut être saisie que dans ses ‘représentants’ signifie qu’avant d’être fixée (haften) à un élément signifiant, elle est une pure quantité psychique, c’est-à-dire rien. Et, dans un certain nombre de textes, Freud, évoquant le problème de la qualité des pulsions, soutient que, comme telle, la pulsion n’a pas de qualité: “les pulsions ne possèdent aucune qualité par elles-mêmes, mais existent seulement comme quantité susceptible de produire un certain travail dans la vie psychique” (Trois Essais, G.W. p. 67). En d’autres termes, ce qui est décrit comme ‘représentance psychique’ correspond en fait, ni plus ni moins, à la structuration même de la pulsion, à sa production même dans des ‘impressions’ (Eindrücke) où sont déterminés les ‘objets’ de la pulsion (Communication d’un cas de paranoïa, G.W. X , p. 246).
Mais, plus précisément, que ce soit à propos du refoulement que cette restructuration ait eu lieu comporte une autre signification à savoir que l’origine de la pulsion est en toute rigueur la même que celle du ‘psychique’ au lieu d’être posée dans une antériorité fallacieuse. Il faut s’entendre. Que pour Freud, le refoulement soit lié comme destin pulsionnel à la différenciation des systèmes Cs / Ics veut bien dire qu’avant cette différenciation la pulsion peut subir d’autres transformations que le refoulement. En soulignant donc que Freud ne peut faire une théorie du destin de pulsion (Refoulement) qu’en référence aux systèmes psychiques on veut insister sur un point différent et fondamental: sur la liaison même, constitutive de la pulsion à la représentation8 en général - c’est-à-dire indépendamment du problème de la différenciation des systèmes. Par [55] rapport à quoi la démarche de Freud est symptomatique sur un cas particulier, le refoulement. Ce n’est donc pas par hasard que, partie pour examiner un ‘destin de pulsion’ l’analyse ait produit comme marginalement9 la théorie de l’origine de l’inconscient. On pourrait finalement exprimer le glissement théorique qui se produit ainsi sur ce concept ambigu de Triebrepräsentanz en disant: alors que dans la problématique précédente le point de départ était une pulsion représentant des exigences (au sens où quelqu’un ‘fait des représentations’ ) au psychisme, désormais la pulsion doit pour se constituer comme telle passer par les exigences des systèmes psychiques et s’y déterminer. Situation nouvelle qui se traduit, sur le plan épistémologique, par le fait même que Freud se voie obligé de différer une analyse véritable du refoulement jusqu’à ce qu’il ait rendu compte de la structure des systèmes psychiques.
2) Mais, d’autre part, on pourrait aussi légitimement soutenir (et il n’y a pas nécessairement contradiction), que, si Freud parvient en fait, avec ce concept de Repräsentanz, à une articulation nouvelle - et beaucoup plus féconde - des rapports de la pulsion et de la représentation, c’est peut-être en visant une restructuration de sens opposé. Le concept du ‘destin de pulsion’ et des ‘transformations’ (Umwandlungen) ‘transpositions’ (Umsetzungen) de la pulsion commandent les analyses et la visée théorique parait bien de faire rentrer l’expérience clinique dans une théorique cohérente des pulsions. Le concept même de Repräsentanz, de Triebrepräsentanz n’a d’autre fin que de reformuler, à l’aide de l’ancien concept de Repräsentant, dans une théorie spéculative de la ‘nature des pulsions’ et du refoulement comme destin pulsionnel, l’expérience clinique. C’est pourquoi aussi lorsque Freud revient à l’analyse du refoulement dans ‘l’Inconscient’ (mais aussi bien n’importe où ailleurs (p. ex. Inhibition, symptôme et angoisse, G.W. XIV, p. 132-134)) le point de départ demeure la motion pulsionnelle et le problème celui “d’une grandeur d’excitation déterminée”. “Faisons un essai timide de description du processus de refoulement dans les trois névroses de transfert connues. Nous devons ici remplacer ‘investissement’ par ‘libido’ , parce qu’il s’agit, comme nous savons, de destins de pulsions sexuelles” (die Schicksale von Sexualtrieben) (G. W. X , p. 281).
Peut-être cette exigence éclaire-t-elle “l’obscurité majeure de l’hypothèse économique freudienne” relevée par J. Laplanche et S. Leclaire dans leur article sur l’Inconscient: à savoir l’identification de l’énergie psychique des diverses systèmes (investissement) [56] à l’énergie sexuelle (- libido -). Car Freud insistant souvent sur la nécessité de distinguer la libido “de l’énergie qu’il faut supposer à la base de tous les processus psychiques en général” (Trois Essais, Ed. 1915, G.W.V p. 67, 118, 119, etc … ), on peut se demander pourquoi il les identifie dans ce texte. Mais si ‘libido’ et ‘Besetzung’ sont interchangeables ici, c’est précisément qu’il s’agit de rendre compte dans ce chapitre non pas des rapports Cs/Ics en général, mais du processus du refoulement dans les névroses de transfert, et qu’en quelque sorte tous les processus en question sont considérés comme des transformations d’une énergie homogène, libidinale dans ce cas (on ne doit donc pas du tout croire que d’une façon générale les deux types d’énergie soient confondus par Freud). Mais qu’ils le soient dans ce cas pose suffisamment de problèmes. Car les autres énergies n’interviennent absolument pas dans l’analyse, et tout se passe comme si, à l’occasion de la névrose, toute la quantité d’Energie psychique d’investissement avait en quelque sorte ‘tourné’ en libido. Freud reconnait ne pas disposer du concept de leur rapport: “jusqu’à présent la psychanalyse nous renseigne d’une manière certaine sur les transformations de la libido d’objet, par contre elle n’est pas encore à même de distinguer de manière nette, la libido du moi des autres énergies qui agissent dans le moi” (Trois Essais, Ed. 1915, p. 119).10
On en conclura:
1°) qu’en toute hypothèse, la description métapsychologique du refoulement (Chap. IV de ‘l’Inconscient’) demeure celle d’un destin de pulsion dans une théorie des pulsions, à l’occasion de laquelle se trouve développée une théorie des rapports des systèmes psychiques à partir de l’ouverture que permet leur fonctionnement dans le cas - très particulier - du procès psychique de refoulement dans les psychonévroses. La théorie des névroses est théorie des transformations de la libido;
2°) que l’identification des énergies ne correspond pas à une confusion, mais très précisément au fait que l’on traite du refoulement dans les névroses, qui ne met en cause que la répartition et les déplacements de cet aspect de l’énergie psychique qu’est la libido;
3°) que bien entendu le rapport de cette sorte de masse énergétique psychique aux autres énergies dans le psychisme reste un [57] mystère complet, impensable, dû très précisément au fait que Freud ne renonce nullement au schème fonctionnel dont on a retracé l’origine et qui faisait de la sexualité une source énergétique envahissant globalement et périodiquement le psychisme. Simplement, ce schème prend une autre forme après que le narcissisme a été introduit, et avec lui une problématique du moi complexe: “nous nous formons ainsi la notion d’une quantité de libido dont le représentant psychique serait ce que nous appelons la libido du moi.” Première ‘traduction’ qui est ‘suivie’ d’une seconde: “toutefois la libido du moi ne devient accessible à l’analyse que lorsqu’elle s’est emparée d’objets sexuels c’est-à-dire quand elle est devenue la libido d’objet” (G.W. V, éd. 1915, p. 118). Ainsi la subsistance mythique de la ‘pulsion’ avant toute détermination se trouve en quelque sorte démultipliée ou redoublée dans le mythe d’une libido du moi qui se définit comme étrangère et ‘antérieure’ à toute détermination d’objet.11 Le psychisme ne figure que comme un moment de la chaîne déductive: pulsion - libido du moi - libido d’objet.12
La difficulté rencontrée au niveau de l’Inconscient tient finalement à la persistance implicite du modèle de la pulsion comme besoin, source énergétique qui alimente le psychisme en s’y déversant et traduisant périodiquement, (persistance qui expliquerait notamment la primauté en droit de la doctrine des pulsions dans la description métapsychologique). Si donc ‘la liaison du refoulement et de l’inconscient’ imposait à la théorie des destins de pulsions un détour par la théorie des systèmes psychiques, celle-ci en retour est radicalement commandée par le fait que la pulsion demeure ‘première’ en droit. C’est le sens profond de l’introduction de l’hypothèse économique: reformuler tous les procès portant sur des représentations en termes de ‘représentant pulsionnel’ , motion de désir, motion pulsionnelle. “Le noyau de l’Inconscient est constitué par des [58] représentants de pulsion, qui veulent décharger leur investissement, donc de motion de désir (Wunschregungen). Ces motions pulsionnelles13 sont coordonnées les unes aux autres, demeurant les unes à côté des autres sans s’influencer, ne se contredisent pas” etc … (p. 285). Coordination, non contradiction: autant de prédicats qui ne font aucun problème si l’on parle de représentations - ou encore de signifiants et de chaîne signifiante. Freud considère sans doute comme une “innocente négligence”14 de décrire les processus comme partant des motions-pulsionnelles et non des représentants. Cela se comprend: on voit mal ce que peut signifier la “coordination de motions pulsionnelles”; mais précisément l’insistance du terme est très caractéristique de ce qu’il s’agit ici de mettre en évidence: le mythe persistant de l’antériorité de la pulsion qui demeure toujours le point de départ de l’analyse théorique, le fait primitif. En sorte que, finalement, lorsque Freud écrit que la pulsion n’est saisissable que sur ses représentants, que fixée donc à un objet et à un représentant, on peut aussi bien voir dans ces expressions la preuve de la persistance du modèle de l’ ‘expression’ .
Dans leur article sur ‘l’Origine du fantasme’,15 J. Laplanche et J. B. Pontalis opposent à la théorie du fantasme ‘expression de la pulsion’ , telle qu’elle est développée sur les kleiniens (notamment S. Isaacs) théorie qui dérive en droite ligne du schème freudien, un passage de l’Homme aux loups (G. W. XII, p. 156) dans lequel le noyau de l’inconscient n’est pas déterminé comme pulsion, mais comme “activité primitive psychique” qui structure la vie sexuelle “il n’y aurait pas lieu de s’étonner qu’il concerne tout spécialement les processus de la vie sexuelle, même s’il ne peut en aucune manière être restreint à ceux-ci”. Bien entendu ce fonctionnement fantasmatique premier est pensé encore en termes d’instinct (Instinktiv, p. 156), mais comme premièrement psychique (alors que ‘l’Inconscient’, où l’on trouve la même référence à l’instinct (p. 294, cité par J. Laplanche et J. B Pontalis), déterminait le même noyau de l’inconscient comme consistant (Cf. plus haut) en “représentants pulsionnels” qui veulent décharger leur investissement. Jusqu’à quel point peut-on dire cependant avec J. Laplanche et J. B. Pontalis, que “loin de chercher à fonder le fantasme sur les pulsions, Freud [59] ferait plutôt dépendre le jeu pulsionnel de structures fantasmatiques antécédentes” (art. cit. p. 1861)? A un premier niveau d’élaboration théorique de l’expérience analytique, cela parait d’autant moins contestable que l’interprétation structurale du fantasme s’est constituée en prenant au sérieux la démarche même de Freud telle qu’elle se développe, par exemple dans “on bat un enfant”. Mais précisément, ce premier niveau de thématisation se trouve continuellement et systématiquement gauchi dans Freud par la primauté de la théorie des pulsions lorsqu’est abordé le problème de ses ‘fondements’ . Pour un texte où il est fait état de la primitivité de la structuration fantasmatique, combien de textes où la fantasmatisation est considérée comme l’expression de la pulsion? Quoiqu’il en soit, une chose est certaine et c’est tout ce qui devait être manifesté ici: le terme de Repräsentanz appartient à ce second niveau d’élaboration théorique qui biologise les opérations signifiantes du fantasme. A cet égard la théorie du fantasme de S. Isaacs est parfaitement ‘freudienne’ . Elle a cet intérêt majeur de manifester sans fard ce qui pouvait paraître ambigu dans Freud, en télescopant en quelque sorte les deux niveaux d’analyse. Lorsque Freud énonce le fantasme (niveau 1), c’est toujours (Cf. par exemple ‘Un enfant est battu’) comme une Vorstellung; la reformulation en termes d’expression psychique est généralement théorique (niveau 2). Seul le terme de ‘Repräsentanz’ est le fil ténu qui assure le passage. Dans S. Isaacs, le premier niveau est investi intégralement par le second, la fonction de Repräsentanz trouve son accomplissement dans la structure absolument homologique et réversible de la ‘poussée instinctuelle’ et du fantasme.
VI. L’hypostase biologique
Cette équivoque est, semble-t-il, centrale dans la pensée freudienne. Elle correspond à un divorce incontestable entre l’élaboration de l’expérience clinique des névroses (ou des psychoses) et la théorie ou doctrine des pulsions, traitée par Freud de mythologie et dont il a soutenu le caractère nécessairement spéculatif.
1 - Cette distance ne se repère nulle part mieux que dans Au-delà du principe de plaisir, où la compulsion à la répétition, d’abord analysée au niveau signifiant où elle se manifeste, se trouve, dans [60] un second temps ‘fondée’ dans une théorie entièrement spéculative et ‘biologique’ de la nature de la pulsion. Une fois de plus, la représentation (Vorstellung) ou l’affect sont simplement le lieu où se ‘représente’ (repräsentiert) un jeu mythiquement mené au niveau d’une pulsion ‘organique’ . Un certain nombre de concepts jouent aux deux niveaux, désignant tantôt un procès concret sur des représentations, affects, tantôt l’ ‘essence’ de ce procès, biologique: ainsi de la ‘fixation’ et de la ‘capacité de fixation’ qui, définie rigoureusement dans le Refoulement comme la rencontre d’un élément signifiant et d’une quantité pulsionnelle, devient ailleurs un prédicat de la pulsion en soi, un indice de sa ‘viscosité’ de son inertie, etc.. (cf. par exemple: Trois Essais, G.W. V, p. 144).
2 - Le cas du concept de but (de pulsion) est très éclairant. Ce concept a été élaboré dans les Trois Essais et ‘Pulsions’ ... à partir de l’expérience psychanalytique (G.W. X, p. 214); car la considération première du Trieb du point de vue biologique n’a rien fait apparaître de tel qu’un but, un objet. Bref: il n’y a pas de pulsion ‘organique’ qui s’ ‘exprimerait’ , se représenterait, par un ‘but’ au niveau psychique: c’est-à-dire que, dans son phénomène organique, la pulsion ne comporte rien, qui serait ‘traduit’ , d’analogue à ce qui affleure dans l’analyse comme but de pulsion. Or, la mythologisation et la biologisation de la pulsion conduiront justement à faire apparaître au niveau ‘organique’ le but: alors on pourra parler du ‘but’ d’Eros, ou du Destruktionstrieb, buts ‘derniers’ de la pulsion. Le seul caractère de finalité16, fut-elle finalité à rebours dans le cas de la pulsion de mort, suffirait à manifester que cette conception n’a rien à voir avec le concept rigoureux du but de pulsion délimité dans les Trois Essais, qui se caractérisait précisément par l’absence de référence à toute ‘finalité’ . La théorie de la sexualité comme pulsion n’avait été en fait possible qu’en critiquant un biologisme que la théorie des pulsions tend perpétuellement à réintroduire en faisant des phénomènes psychiques un simple phénomène, reflet (Abriss, p. 45, Ed. Fischer), ‘expression psychique’ de processus, de conflits biologiques.
3 - De la même façon l’Abrégé, si “le point faible de l’organisation du moi réside dans son rapport à la fonction sexuelle”, c’est que tout se passe “comme si l’opposition biologique entre conservation de soi-même et conservation de l’espèce s’était créé ici une expression psychologique (psychologischen Ausdruck)” (Abriss, p. 44 - Je souligne). Or, il est bien évident non seulement que le terme [61] d’ ‘expression psychologique’ désigne comme toujours un véritable mystère, mais que le rapprochement esquissé est superficiel, purement analogique, manifestant seulement le besoin freudien de trouver une correspondance biologique, quand le rapport de la pulsion au moi n’est justement un problème que parce que la sexualité comme pulsion est au moins en porte à faux par rapport à la conservation de l’espèce (comme Freud l’a parfaitement, le premier, dit dans les Trois Essais).
4 - Le concept de ‘Repräsentanz’ apparait comme l’un des artifices élaborés par Freud pour signifier un parallélisme entre organique et psychique, biologique et psychique ou pulsion et représentations. Or, ce parallélisme est contradictoire et intenable, car il impose la biologisation de la pulsion et la subversion des concepts proprement analytiques, pour autant qu’ils déterminent dans la sexualité une pulsion - la seule pulsion -, réalité étrangère à la ‘fonction’ . Autrement dit, la théorie freudienne des pulsions est fondée sur un véritable paradoxe: faire continuellement passer du côté ‘biologique’ tous les caractères particuliers que la clinique analytique découvre dans la sexualité comme pulsion. Freud n’est pas sans apercevoir que le parallélisme est impossible et ceci précisément lorsqu’il s’agit de définir, dans le moment de l’étayage, la spécificité de la sexualité. “Toute l’activité psychique est d’abord consacrée à procurer satisfaction au besoin de cette zone. Cette satisfaction sert naturellement en premier lieu la conservation de soi par l’alimentation, mais on ne doit pas confondre la physiologie avec la psychologie. Très tôt se manifeste dans le suçotement obstinément poursuivi par l’enfant un besoin de satisfaction qui, bien qu’émanant de l’alimentation et suscité par celle-ci n’en vise pas moins indépendamment de l’alimentation à ce gain de plaisir et peut - doit pour autant être appelé sexuel” (Abriss. p. 15). Mais si la réversibilité des points de vue, la structure de représentance, éclate ici visiblement au point essentiel de la chaîne théorique, on doit ajouter qu’ailleurs la spécificité même de ce que l’on pourrait appeler l’effet de pulsion sexuel est ‘fondée’ dans un chimisme particulier de l’excitation sexuelle (Trois Essais, G.W. V, p. 115).
5 - L’introduction de la deuxième topique conduit à une restructuration du rapport entre l’énergie pulsionnelle et le psychisme qui se situe entièrement dans la même ligne et se borne en quelque sorte à démultiplier l’expression psychique des pulsions, comme l’indique de manière très caractéristique un texte de l’Abrégé, relatif au Ça: “son contenu est fait de tout ce qui est hérité, apporté à la naissance, déposé constitutionnellement, avant tout par conséquent les pulsions qui émanent de l’organisation corporelle et qui trouvent ici une première expression psychique dont les formes nous sont inconnues” (Abriss, p. 9). La série de transformations que J. Laplanche et [62] J. B. Pontalis décrivent chez S. Isaacs s’applique intégralement sur ce point à Freud: “Le sujet biologique est en continuité directe avec le sujet du fantasme, sujet sexuel et humain, selon la série somatique → ça → fantasme → de désir → de défense → mécanisme du moi” (art. cit. p. 1863). On voit comment, du corps au moi, en passant par le Ça, le modèle de la transformation homogène de l’énergie se trouve développé, le passage essentiel - de la pulsion (en tant que processus somatique) au Ça (comme processus psychique) - demeurant comme toujours aussi ‘naturel’ qu’énigmatique.
6 - Cette série déductive, à elle seule, ne saurait rendre compte toutefois, il est vrai, des rapports réels institués par Freud entre le corps, la pulsion et le psychisme. D’abord parce que, comme le fonctionnement même de l’appareil psychique, elle peut en droit être renversée selon l’aller et retour d’une ligne imaginaire; ensuite, parce que la pulsion ne représente pas totalement ce qui, du corps, est représenté au psychisme. Ce renversement, d’autant plus important qu’il est thématisé dès le début par Freud et qu’au surplus il est explicitement désigné du même terme de Repräsentanz, prend sa forme la plus claire dans les écrits de la seconde topique. La différenciation du moi et du ça et surtout peut-être la figuration de l’appareil psychique permettent de mettre en lumière:
1°- la symétrie fondamentale entre les rapports pulsion / ça et monde extérieur / moi, qui sont l’un et l’autre de représentation (Repräsentanz).
2°- l’équivoque du rapport moi / corps.
a - Le rapport moi / monde extérieur est d’autant plus analogue à la Repräsentanz de la pulsion dans le ça que, dérivant plus ou moins d’un modèle mécaniste de l’arc réflexe, il est aussi discret, sur les formes du passage dans le psychisme. A la continuité obscure de l’énergie pulsionnelle et de l’énergie psychique correspond celle non moins énigmatique de l’énergie externe et de l’énergie motrice psychique.17
b - Le rapport moi / corps, par contre, fait éclater le modèle économique de la Repräsentanz: entre le corps et le moi comme ‘Körper-ich’ (et le moi, on le sait est déclaré être avant tout ‘körperiche’ ), aucun rapport d’ ‘expression’ au sens précédemment défini n’est concevable. Il ne s’agit plus, il ne peut plus s’agir d’une forme quelconque de traduction dérivée du modèle de transformation, mais d’une relation absolument nouvelle, dont le concept physiologique de ‘projection’ ou ‘représentation cérébrale’ fournit le modèle analogique, lui aussi biologique (sinon le concept).
[63]c - De même que la Vorstellung est prise, du côté de la pulsion, dans une série de transformations comme forme de manifestation, expression psychique de celle-ci, du côté opposé de l’appareil psychique, elle est prise dans une série inverse comme redoublement de la perception. “On doit se souvenir que toutes les représentations tirent leur origine de perceptions, sont des répétitions de celles-ci.” ‘La (dé-) négation’ (G.W. XIV, p. 14). La reproduction de la perception en représentation fait exactement pendant à la représentation psychique de la pulsion.
Il faut noter pour finir, que l’existence d’une double série ne change évidemment rien au problème de la ‘représentancé puisque le statut du passage d’un terme à l’autre dans l’un ou l’autre sens n’est pas davantage mis en cause.
7 - Mais les conséquences du schème de la représentance vont plus loin. Comme on l’a vu, en effet, le rapport de la libido aux ‘autres énergies psychiques’ (ce qui désigne, en termes d’énergie encore, le rapport entre la pulsion et le psychisme en général et, au fond, l’insuffisance de la ‘déduction’ ) était resté parfaitement obscur en 1915. Dans la mesure où Freud a réaffirmé le dualisme pulsionnel en distinguant deux sources pulsionnelles fondamentales (pulsion de vie (Eros), pulsion de mort) le problème de leur rapport, à propos notamment de la transformation de l’amour en haine, oblige à faire l’hypothèse d’une énergie psychique déplaçable (verschiebbar), purement quantitative, (c’est-à-dire n’étant pas déterminée comme énergie libidinale ni comme ‘énergie destructrice’ ). Or à bien l’examiner, la solution freudienne (G. W. XIII, p. 273) est tout à fait remarquable, consistant à maintenir à la fois:
a - qu’il y a bien une telle énergie psychique indifférenciée;
b - mais qu’elle provient d’une désexualisation. Par où la déduction de l’énergie psychique et d’une manière générale des processus psychiques à partir de la pulsion, telle que l’on a été amené à l’expliciter, se voit entièrement conservée. Mais c’est au prix d’un paradoxe, qui revient à imputer à l’énergie sexuelle initiale (Eros) comme telle les caractères psychiques qui conceptualisaient la structuration de la pulsion sexuelle par le psychisme (concept de déplacement sur des objets ...): on parlera de ‘capacité de déplacement’ (Verschiebbarkeit). Après quoi, dans un second temps, on retrouve comme par bonheur ces caractères dans l’énergie psychique elle-même, à titre de produits d’une ‘désexualisation’ . On pourrait encore exprimer cette démarche en disant que la structure signifiante psychique qui produit dans le cas de la sexualité seule, les phénomènes pulsionnels avec leurs caractéristiques (absence de liaison fonctionnelle à un objet et glissement d’ ‘objets’ en ‘objets’ par la chaîne signifiante) se trouve dans Freud, en vertu du modèle de la transformation [64] des pulsions, réalisé dans la pulsion comme ‘organique’ , puis ‘exprimé’ , ‘redécouvert’ dans les processus psychiques comme ‘expression’ . Expression qui, pour être redoublée, demeure aussi obscure aux deux niveaux (de la pulsion au ça - [passage à l’énergie psychique] - du ça au moi [nouvelle expression: désexualisation]).
La théorie de la sublimation se développe très logiquement dans cette même ligne de la représentance. Il n’y a pas tellement lieu de s’étonner si “les déplacements” des processus de pensée (‘Denkvorgänge’, G. W. XIII, p. 274) réalisent au mieux la “capacité de déplacement” des pulsions sexuelles, puisqu’en réalité la structure de celles-ci résulte bel et bien d’une réalisation ‘biologique’ des processus de pensée en tant qu’ils structurent la sexualité. Nulle part sans doute l’obscurité du schéma déductiviste, le caractère inadéquat du primat de la pulsion, le concept confus de la transformation des énergies n’apparaissent plus clairement. Mais l’on voit, du même coup, que le problème ouvert par cette notion de sublimation n’est nullement de savoir comment doubler le schéma d’une déduction des procès de pensée à partir de la pulsion d’une ‘téléologie’ de la conscience. Sans parler de la visée idéologique grossière de l’opération, il est évident que dans sa précipitation elle considère comme incontournable cela même qu’il faut mettre en question pour penser autrement - et, bien entendu, sans la moindre téléologie cette fois - la sublimation: le schème de la représentance qui n’institue rien d’autre qu’une pseudo-téléologie de la ‘pulsion’ .
8 - En définitive, toutes les difficultés soulevées par le concept et la fonction désignées dans le terme de Repräsentanz viennent très exactement de ce que le caractère différentiel de la sexualité comme pulsion, c’est-à-dire comme seule pulsionnelle, par rapport aux besoins et fonctions, ne peut être marqué, dans la théorie freudienne, que par une particularité biologique, organique, de la sexualité (chimisme spécifique, différence dans la source, dans la qualité des pulsions, comme il se voit à propos du concept d’étayage), alors que cette particularité parait malaisément pouvoir rendre compte sans arbitraire des manifestations psychiques de la sexualité. La notion de Repräsentanz, comme celles qui l’ont précédé dans l’élaboration de Freud, convient pour désigner la réversibilité du point de vue entre la modification organique qui est à l’origine d’un besoin, et sa manifestation psychique (sous la forme d’une tension indifférenciée.18 [65] Mais ce qui distingue la sexualité n’est-il pas la détermination, le découpage de cette tension elle-même par des représentations dans lesquelles sont donnés des objets impossibles à déduire de la modification organique comme telle? Freud le reconnaît lui-même dans certains textes en refusant d’attribuer à la pulsion, comme phénomène organique, une qualité. L’ambiguïté de la notion de pulsion est ainsi résumée dans le problème, assez mal repéré, de la qualité des pulsions, que Freud reprend périodiquement. Finalement, c’est justement pour autant que la sexualité n’est pas un besoin - même spécifique qu’elle dispose de cette ‘expression psychique’ si particulière. L’emploi de cette dernière expression résulte donc d’une sorte de compromis entre la spécificité reconnue de la sexualité et l’application persistante du modèle de l’expression, valable pour les autres besoins. Cela implique en retour la projection dans l’aspect organique de la sexualité de la différence perçue au niveau de ses ‘manifestations psychiques’ (seules observables dans la clinique).
Mais en retour, qu’à considérer la biologie comme le modèle de scientificité - inaccessible - d’une théorie psychanalytique essentiellement provisoire Freud aboutisse à une pure spéculation suffit à indiquer sans ambiguïté que cette ‘biologie’ est un mythe idéologique, l’eschatologie de la psychanalyse. La nécessité même, affirmée par Freud, du caractère spéculatif de cette biologie des pulsions est le sceau qui la désigne comme idéologie; elle est, pour parodier Freud, son ‘made in Ideology’. Une forme de scientificité qui ne peut être importée dans un domaine que sous forme spéculative est à coup sûr idéologique. Il s’agit d’un visage familier: l’évolutionisme biologique, soit le produit idéologique de la théorie biologique exportée dans les champs les plus divers au dépens de la production des objets spécifiques de ceux-ci.
On doit reconnaître qu’il était d’une certaine manière beaucoup plus difficile de produire le concept de cette spécificité dans la théorie psychanalytique des pulsions qu’il ne l’était pour Marx, affrontant la même idéologie, de rejeter le darwinisme du matérialisme historique. II faut, en effet, donner tout son poids à la déclaration freudienne selon laquelle, avant la psychanalyse, il n’y avait [66] tout unimement pas de théorie des pulsions. Cela signifie que la réalité de la pulsion a été nécessairement pensée d’abord comme biologique, et que c’est comme telle qu’elle a été l’instrument même de la coupure épistémologique du freudisme. L’irruption de la sexualité dans le psychisme, qui est le fondement du modèle de la Repräsentanz, c’est l’irruption même de la ‘pulsion’ sous un travesti biologique dans la ‘psychologie’ . Si, plus qu’ailleurs peut-être, la théorie doit s’énoncer ici dans le langage de ce dont elle se coupe, c’est aussi bien qu’en lui même celui-ci avait, à certains égards, valeur de rupture. C’est d’ailleurs pourquoi il faudrait s’entendre sur le terme de ‘biologisme’ . S’il n’est pas question d’engendrer déductivement toute la vie fantasmatique à partir de la pulsion sexuelle, il n’est pas interdit de voir dans une certaine déficience de la sexualité comme ‘instinct’ chez l’homme, ayant pour conséquence une indétermination remarquable de la vie sexuelle, la condition de possibilité biologique de la mise en acte de la vie fantasmatique, ceci sans aucune déduction a priori de l’ ‘origine’ de ce phénomène spécifique qu’est une sexualité représentée. En d’autres termes, dans le cas de Marx, l’idéologie biologique est donc dans un rapport beaucoup plus lâche à la théorie de l’histoire qu’il n’est possible dans la théorie psychanalytique des pulsions; non seulement pour des raisons historiques (tenant à la constitution de la théorie), mais pour des raisons intrinsèques: parce que le biologique ne peut fonctionner qu’en partie comme idéologie spéculative dans le cas de la pulsion. Le problème est précisément, aujourd’hui, en prenant acte de la coupure freudienne, dans sa portée véritable, de désolidariser clairement de la théorie ses formulations idéologiques, au lieu de les prendre au pied de la lettre et d’aller ronronnant une parole freudienne homogénéisée. La pulsion analysée en but, objet, source, et poussée, c’est un concept mais pas un concept biologique. La pulsion hypostasiée à partir d’une interrogation sur la nature dernière du Trieb (Au-delà du principe de plaisir, G.W. XIII, p. 38), c’est une idéologie spéculative, nourrie indûment et intégralement de la substance clinique, et privée au surplus comme ‘biologie’ de toute signification biologique (scientifique).
On conclura donc que le concept de Repräsentanz (pour autant qu’il demeure pris dans une problématique de la déduction du psychisme à partir du biologique et de la réversibilité des points de vue psychique et biologique) n’est pas un concept rigoureux, mais la désignation idéologique d’un rapport absolument nouveau entre la sexualité comme pulsion et la représentation imposée par l’expérience clinique. On peut ajouter que ce caractère idéologique de la biologie des pulsions ne constitue pas seulement une illusion théorique. Il rend compte, au moins partiellement, d’une certaine démarche des interprétations psychanalytiques lorsqu’elles ne concernent pas directement la clinique, très précisément de leur tendance à se transformer en genèses psychologistes. Sans entrer [67] plus avant, ici, dans ce problème difficile, on peut au moins poser à titre d’hypothèse que le modèle de la déduction du psychique et de l’ ‘expression’ des pulsions constitue précisément le schème théorique de base qui commande, pour la pensée psychanalytique, le glissement psychologiste. L’interprétation psychanalytique ne peut éviter ce pas qu’en concevant la détermination ‘pulsionnelle’ , libidinale comme structuration d’un objet articulable à d’autres déterminations.
Ces conséquences idéologiques n’ont rien d’étonnant: le modèle idéologique importe, avec sa détermination (idéologique) de l’objet, tout un ensemble d’éléments et notamment un mode de causalité et un certain type de temps également idéologiques. Bref, dans la mesure même où l’objet spécifique de la psychanalyse est soumis au gauchissement d’une idéologie, la théorie de son rapport aux autres types d’interprétation ou de structuration productrices d’objets également spécifiques, se trouve également gauchie. Le caractère sauvagement idéologique de certaines interprétations analytiques dans le domaine de la ‘culture’ n’a d’autre fondement épistémologique, on y reviendra ailleurs, que la linéarité du schème théorique qui a été ici dénudé.
Notes
1. Cet article reprend le texte d’un exposé fait au séminaire sur la psychanalyse de l’Ecole Normale Supérieure, en mars 1966. ↵
3. T.M., mai 1965, P. 2044 (je souligne) ↵
4. Par commodité je désignerai ce terme par les lettres V.R., et Repräsentant par Rä. ↵
5. Il n’existe aucune opposition chez Freud entres besoins et pulsions, c’est-a-dire, que la sexualité est une des ‘pulsions’ (comme la faim, la respiration). La différence entre la sexualité et les autres pulsions passé donc à l’intérieur du concept de pulsion. On comprend du même coup l’obscurité du concept freudien de pulsion: tous les prédicats des ‘fonctions’ organiques sont imputes à la pulsion sexuelle, cependant que la problématique ouverte par la seule pulsion – la sexualité – est généralisée aux fonctions ou besoins appelés pulsions. La sexualité est donc un ‘besoin’ (Bedürfnis). La seule différence entre les termes de pulsion et de besoin établie explicitement par Freud (G.W. X, p. 212) est peut-être que ‘besoin’ connote spécifiquement la manifestation psychique de l’excitation pulsionelle (la pulsion désignant les deux aspects). Dans ces conditions on comprend que Freud parlera sans la moindre difficulté de ‘besoins pulsionnels’ (Triebbedürfnisse, G.W., X, p. 212). ↵
6. Soit “... une fixation consistant en ce que le représentant psychique (-représentation) de la pulsion” (G. W. X, 250). ↵
7. “Nous pensons aussi à présent que refoulement et inconscient sont corrélatifs dans une si large mesure qu’il nous faut repousser le moment d’approfondir l’essence du refoulement jusqu’à ce que nous en ayons appris davantage sur la structure de la succession des instances psychiques ...” (G.W. X, 250). ↵
8. Ou l’affect, bien entendu, en tant qu’ils ont en commun d’être des signifiants. ↵
9. Puisque Freud, différant l’analyse réelle écrit: “Auparavant, on ne peut guère que rassembler, de façon purement descriptive, quelques caractéristiques livrées par l’observation clinique, en courant le risque de répéter sans changement beaucoup de choses déjà dites ailleurs” (G.W. X, 250). ↵
10. Lors même en effet que Freud, en 1915, est le plus proche d’un monisme et de la confusion jungienne de la libido et de l’énergie psychique, il n’en persiste pas moins à distinguer plusieurs énergies dans le moi (Cf. Trois Essais. Ed. 1915, G. W., V, p. 119). ↵
11. ↵
12. Il ne s’agit pas évidemment de mettre en cause le concept même de libido du moi, rendu nécessaire par la théorie des psychoses et le narcissisme, mais, très précisément, la manière dont il vient jouer dans le schème théorique dont on suit ici la constitution et qui n’est absolument pas nécessaire à le définir. Le parallélisme évident entre les thèses: 1. – La pulsion n’est jamais appréhendée que sur sa Repräsentanz (L’inconscient, 1915). 2. – La libido n’est accessible que devenue, de libido du moi, libido d’objet (Trois Essais, éd. 1915) montre de façon irrécusable comment le problème du narcissisme proprement dit (opposition moi/objet comme objets d’investissement) est recoupé par l’opposition pulsion/représentant grâce à une amphibologie sur le terme d’objet, la ‘libido du moi’ venant occuper la position de la pulsion dans son antériorité mythique aux ‘objets’ , au mépris du fait qu’elle a un objet la moi. ↵
13. On ne peut donc opérer théoriquement de distinction entre pulsion et désir dans Freud. Evidemment, comme pour la distinction de la pulsion et du besoin on peut – c’est autre chose – montrer comment, sans être thématisée, elle est nécessitée par la logique même de certains textes de Freud. ↵
14. G.W., X, p. 276. ↵
15. Temps Modernes, avril 1964, p. 1861-3. ↵
16. Le concept de Zweckmässigkeit est certainement un des concepts fondamentaux de la pensée freudienne, non repéré comme tel jusqu’ici et le lieu de la seule ‘téléologie implicite (et apparente) du freudisme’ . ↵
17. Là aussi le S. ↵
18. Une des raisons pour lesquelles Freud n’a pas produit explicitement dans la théorie de la différence spécifique entre le niveau du besoin et celui de la pulsion est sans doute qu’il a dû élaborer en même temps les deux niveaux, loin d’avoir seulement à distinguer la sphère pulsionnelle de celle du besoin. D’où le départ qu’il prend, dans l’analyse du Trieb, de la faim ... (Hunger), qui est décisif, la faim demeurant, comme fonction, le modèle théorique de la pulsion, alors qu’il est beaucoup plus difficile d’y faire apparaître la spécificité de la pulsion que pour la sexualité (comme ‘fonction’ ). La théorie de l’étayage, produit bien cette différence de la sexualité; mais à un niveau théorique plus général la théorie des pulsions repose sur des présupposés (caractère interne de la pulsion notamment, réversibilité psycho-biologique) qui dérivent d’une théorie non critique, en fait pré-psychanalytique, des ‘fonctions’ et des ‘besoins’ . ↵